Prêt.e à step up dans ton plein potentiel entrepreneurial?

Est-ce qu’on dit entrepreneure ou entrepreneuse?

On dit entrepreneure ou entrepreneuse? Auteure ou autrice? Travailleure ou travailleuse? Aussi simple que cette question puisse paraître, il s’agit d’un réel débat linguistique et sociologique. J’ai envie d’offrir un regard nuancé et objectif sur le sujet afin que vous vous fassiez votre propre tête quant à la forme féminine de ces noms de métiers.

Point de vue linguistique

 

Commençons par la base: la grammaire, les normes linguistiques et l’histoire du français. Parce qu’au final, le français reste un moyen de communication régi par des règles. Ce sont ces dernières qui nous permettent d’utiliser notre langue, de la vivre et de la faire vivre.

La norme

 

Sommairement, la règle de féminisation des noms est basée sur les terminaisons latines. Ainsi, le masculin -eur (du latin -or/osa) se féminise en -euse, tout comme le masculin en -teur (du latin -tor/trix) se féminise en -trice.

 

Toutefois, la Banque de Dépannage Linguistique ajoute :

 

Il faut être prudent dans l’emploi des noms se terminant en -eure. En effet, certains noms féminins en -eure ont été créés par l’ajout du -e final au nom masculin pour pallier l’absence de nom féminin correspondant; on a ainsi créé, par exemple, professeure, docteure, gouverneure. L’emploi de ces nouvelles formes est tout à fait justifié et encouragé, puisque ces noms permettent maintenant de nommer les femmes dans leur fonction avec une appellation au féminin.

 

Par contre, d’autres noms en -eure sont à éviter, puisqu’ils viennent concurrencer inutilement des noms correctement formés et déjà bien établis; c’est ainsi que directeure n’est pas retenu, puisqu’on a déjà en français directrice; ni chercheure puisque chercheuse existe déjà.

 

Au final, la règle prescrit l’utilisation d’entrepreneuse. De la même façon, la règle favorise l’emploi d’autrice, de travailleuse, réviseuse, etc. L’utilisation d’entrepreneure devient donc désuète.

 

J’en rajoute: nombreux sont ceux qui accusent le français d’être complexe. Avec raison. L’histoire nous apprend comment plusieurs règles et formes ont été ajoutées au gré des modes et des erreurs de quelques grands noms de la littérature. Devant ce désabusement, ne serait-il pas logique de prioriser la forme régulière? Bonne réflexion.

L’usage

 

Toutefois, malgré les apparences et au grand dam des puristes, la langue est tel un adolescent – ou une entrepreneure justement – qui n’aime pas trop se faire dicter sa conduite. C’est qu’en fait, les langues sont vivantes. Elles changent. Elles se métamorphosent. Le latin s’est ainsi transformé au point de devenir le français, entre autres. D’ailleurs, n’y a-t-il pas eu un ancien et un moyen français? Désolée de vous dire que ça ne s’arrêtera pas au français que nous connaissons aujourd’hui :

 

Il est à noter que certains masculins donnent parfois lieu à plusieurs féminisations, morphologiquement possibles et dûment attestées ; c’est l’usage qui tranchera. (Cerquiglini, B.)

 

Subséquemment, l’usage a souvent le dessus sur les normes. Le français des grammaires propose une ligne directrice, certes, mais l’usage reste la façon dont la langue est transmise d’une génération à une autre. Dans ce cas, la féminisation « entrepreneure » semble avoir de l’avance.

 

Mais il est bien de se demander pourquoi des féminins en -euse ou en -trice ont parfois une connotation péjorative, pourquoi chercheuse « sonne mal » à nos oreilles?

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  On dit entrepreneure ou entrepreneuse? Aussi simple que cette question puisse paraître, il s’agit d’un réel débat linguistique et sociologique. J’ai envie d’offrir un regard nuancé et objectif sur le sujet afin que vous vous fassiez votre propre tête quant à la forme féminine de ces noms de métiers. #rédaction #langue #entrepreneur Point de vue sociologique

 

« Femme, j’écris ton nom », un recueil écrit dans le but d’intégrer et normaliser l’usage du féminin pour les noms de métiers et ainsi « mieux valoriser le rôle de la femme dans la société », a été décrié par l’Académie française qui met en garde contre ces changements qui « risquent de mettre la confusion et le désordre dans un équilibre subtil né de l’usage, et qu’il paraîtrait mieux avisé de laisser à l’usage le soin de modifier ».

Le féminisme

 

Qu’on le veuille ou non, d’accord ou pas, il y a un féminisme linguistique (sur ce sujet, je vous inivite à lire notre article sur la rédaction épicène). Et bien honnêtement, il n’est pas mauvais de se questionner sur certaines normes. En France, on dit encore, Madame le directeur ou Madame le maire alors qu’au Québec, ces noms de métiers ont été féminisés et acceptés. Ce qui nous semble superflu en ce moment sera normal plus tard. Ce qui est inepte pour les uns peut être pertinent pour les autres. Rien n’est acquis.

 

Les féministes remettent en question les féminisations qui sont inaudibles à l’oral. Leur argument, ces choix ne sont faits que pour les «métiers d’hommes». Ainsi, coiffeuse, chanteuse, danseuse, mais entrepreneure, docteure, auteure, chercheure, professeure, etc.

 

Audrey Alwett, autrice et scénariste, va plus loin en allant creuser l’histoire et en démontrant comment des hommes (le clergé et l’Académie française) ont décidé d’effacer la féminisation des noms de métiers dits nobles ou d’homme:

 

À l’époque, on disait philosophesse, poétesse, autrice, mairesse, capitainesse, médecine, peintresse, etc. Tous ces mots ont été supprimés pour ne garder que leur masculin : philosophe, poète, auteur, maire, etc. C’est une façon de dire aux femmes qu’elles n’avaient pas de légitimité dans ces professions. Qu’elles n’avaient rien à faire là, si tu préfères.

 

Au Québec, bien que le problème soit moindre qu’en France, on constate quand même cette tendance à féminiser sans féminiser, c’est-à-dire ne féminiser qu’à l’écrit, par l’ajout d’un «e»: auteure, entrepreneure, réviseure, etc.

 

Et si, en l’honneur des femmes, nous acceptions de nommer les réalités et surtout, de les entendre.

L’Académie française

 

Dans «Femme, j’écris ton nom…», l’Institut national de la langue française, sous la direction de Bernard Cerquiglini, commandé par le premier ministre Lionel Jospin explique que la féminisation des noms de métiers va au-delà des modes, des idéologies et des politiques: «Elle est avant tout l’expression naturelle qui permet de rendre compte – puisque les mots existent pour dire les choses – d’une situation désormais irréversible».

 

À ce guide, l’Académie a répondu:

 

Aucun texte ne donne au gouvernement « le pouvoir de modifier de sa seule autorité le vocabulaire et la grammaire du français ». Nul ne peut régenter la langue, ni prescrire des règles qui violeraient la grammaire ou la syntaxe : elle n’est pas en effet un outil qui se modèle au gré des désirs et des projets politiques.

 

Elle ajoute:

 

S’agissant des métiers, très peu de noms s’avèrent en réalité, du point de vue morphologique, rebelles à la féminisation quand elle paraît utile. Comme bien d’autres langues, le français peut par ailleurs, quand le sexe de la personne n’est pas plus à prendre en considération que ses autres particularités individuelles, faire appel au masculin à valeur générique, ou « non marquée ».

 

En résumé, l’Académie rejette les néologismes tels que professeure, recteure, auteure sous prétexte qu’ils ne respectent pas la langue et qu’elles ont déjà une forme féminisée acceptée. Soite. L’Académie française explique aussi que par le passé, l’usage n’a pas retenu les féminisations désuètes et maladroites (pensons à poétesse, doctoresse ou cheffesse).

 

Mais pourquoi donc, dans ce cas, autrice et écrivaine, de même que cheffe ou agente sont honnis par l’Académie française? « L’oreille autant que l’intelligence grammaticale devraient prévenir contre de telles aberrations lexicales ». C’est à n’y rien comprendre.

 

Enfin, dans une entrevue donnée à Tout le monde en parle, Dany Laferrière, académicien, explique :

 

Il y a une masse énorme de femmes qui sont sur le marché du travail, qui travaillent dans tous les secteurs. Elles ont le droit d’affirmer leur présence et demander, par exemple, que le dictionnaire reconnaisse leur fonction. Et ça, je pense, l’Académie est tout à fait d’accord.

Alors, on dit entrepreneure ou entrepreneuse?

 

Que vous choisissiez le camp de normes grammaticales, de l’usage, des féministes ou de l’Académie, difficile de faire fausse route. Les dés sont lancés et l’histoire nous dira quel terme a été gardé. Toutefois, en tant que femme et à la lecture des différentes sources citées, je me vois mal continuer d’utiliser des termes qui ne permettent pas une véritable présence féminine, des termes qui suivent une logique historique et grammaticale. Des termes qui permettent de normaliser la présence des femmes dans tous les milieux.

 

Et vous, êtes-vous une entrepreneuse ou une entrepreneure?

entrepreneure ou entrepreneuse

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À PROPOS DE L’AUTEURE

Éveline Thibault-Lanctôt

Bachelière en linguistique et littérature, diplômée de deuxième cycle en didactique, le parcours atypique d'Éveline a pour but de garder toutes les portes ouvertes afin d'assouvir sa curiosité insatiable ! Enseignante, entrepreneure et rédactrice/réviseure linguistique, cette maman féministe se découvre une fibre entrepreneuriale avec le démarrage de son école de tennis, cofondée avec son mari, L'Atelier de Tennis. Bref, tout ce qui touche la langue, la création et l'enseignement la passionne!
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4 Commentaires

  1. Annelise

    Article très intéressant ! Je me suis moi-même posée la question plus d’une fois sur le terme à employer. A cette époque j’avais fait un petit état des lieux auprès de mon entourage pour savoir qu’est-ce qui sonnait le mieux à leurs oreilles (c’était pour choisir le nom de mon site web) et à vrai dire, les réponses étaient unanimes : entepreneure.
    Il semblerait que le terme d’entrepreneuse fasse «bizarre», je pense que c’est un peu trop proche de la fille entreprenante (et pas dans le bon sens du terme).
    Bref, tout un débat !

  2. Marie-Hélène

    Excellent article qui fait le tour de la question, sans toutefois nous dicter le camp à prendre <3 Merci! Moi aussi, j'ai encore de la difficulté aussi avec entrepreneuse (réviseuse, entraîneuse…), même si je préférerais que le féminin se distingue à l'oral… Ah, la connotation et l'usage!

  3. Tatiana St-Louis

    Pas facile, effectivement! On est victimes de notre temps! Est-ce qu’on assume les termes? J’ai hâte de voir où on en sera dans quelques années 🙂

  4. Céline

    Comme Annelise, entrepreneuse peut laisser le choix d’interprétation du sens du mot pour aller vers un choix plus lubrique que lié à l’entrepreneuriat. La langue française est en constante mutation, ils veulent bien supprimer ou modifier l’orthographe de certains mots comme supprimer le h de haricot. Perso, mon choix est fait et c’est trop tard 😉

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