Ce n’est pas nouveau, l’équité entre les sexes constitue un enjeu important dans le monde du travail. L’univers rédactionnel n’échappe pas à cette réalité. En effet, de plus en plus d’entreprises et d’organismes demandent à voir des textes suivant le principe de la rédaction épicène.
Épi-quoi?
Par définition, l’adjectif épicène signifie, lorsqu’il qualifie un nom ou un adjectif, que la forme ne varie pas selon le genre. Par extension, l’écriture épicène vise à donner une visibilité égale aux hommes et aux femmes dans un texte. Jusque-là, c’est assez simple.
Par contre, lorsqu’il s’agit d’appliquer ce principe à un document entier, le processus peut s’avérer complexe. Afin d’assurer une lecture fluide, la rédaction épicène demande un savoir-faire particulier et une maîtrise de différents procédés linguistiques.
J’aimerais donc suggérer quelques stratégies ainsi que certaines tournures à éviter afin de produire un texte bien rédigé selon ce principe.
Petite histoire de la rédaction épicène
Tout d’abord, je vous propose un petit retour en arrière. Nous avons la chance d’habiter dans une province pionnière en ce qui a trait à la féminisation de la langue. Tentons donc de mieux comprendre les fondements de la parité linguistique au Québec.
Mettons au clair que l’objectif de la rédaction épicène n’est pas de mettre les femmes au premier plan, mais bien d’instaurer une égalité entre les sexes. C’est pourquoi il est pertinent d’aborder le sujet de la féminisation comme point de départ de ce procédé de rédaction.
Il faut remonter aux années 70 pour retrouver les premières interventions formelles visant à féminiser la langue. La montée du féminisme et l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail ont complètement bouleversé les normes rédactionnelles établies. En effet, les textes étaient jusqu’alors entièrement rédigés au masculin. C’est ainsi que, suite à la demande générale, l’Office québécois de la langue française (OQLF) a entamé un processus de réaménagement linguistique. Il souhaitait éviter la discrimination dans les textes administratifs et faire entrer dans l’usage les formes féminines des noms métiers, ainsi que celles des titres de postes et de fonctions.
L’une des premières recommandations fût simple : ajouter femme devant un titre (femme-ingénieur). On a rapidement jugé cette technique inefficace d’un point de vue égalitaire et elle a, heureusement, vite été abandonnée.
Une autre proposition suggérait la rédaction d’une note explicative en début de texte mentionnant que la forme masculine désignait les deux sexes. De son côté, cette technique ruinait tous les efforts déployés pour intégrer un nouveau style de rédaction. Cette méthode est, hélas, encore trop souvent utilisée.
Heureusement, plusieurs procédés stylistiques instaurés par la suite se sont révélés plus utiles. Ce sont ceux-ci que l’on devrait appliquer à la rédaction des textes épicènes.
Stratégies à adopter : noms génériques, formulation neutre et doublets
Il existe plusieurs formes génériques et noms épicènes qui peuvent servir à désigner une personne ou un groupe de personnes. Ces derniers sont très pratiques lorsqu’il est question d’épurer un texte. Je pense, par exemple, à membres du personnel, fonctionnaires, cadres, etc. pour remplacer le terme employés.
Les formulations neutres (citoyenneté pour remplacer citoyen et citoyenne) peuvent aussi alléger le document. Plusieurs adjectifs – comme susceptible, honnête – et pronoms – comme vous ou quiconque – peuvent également éviter la confusion et les formulations maladroites. N’hésitez pas à consulter un dictionnaire pour trouver le terme qui convient le mieux.
Lorsqu’aucun mot n’existe pour désigner ce que l’on veut exprimer, il est possible d’avoir recours aux doublets : les rédacteurs et les rédactrices, par exemple. Cependant, ces derniers peuvent alourdir le texte s’ils sont répétés trop souvent. On peut alors simplement employer le pronom de reprise ils, même s’il s’agit du masculin, puisqu’il fait directement référence aux deux genres énoncés précédemment. À l’inverse, on peut doubler les déterminants ou les pronoms lorsqu’on utilise un nom épicène (le ou la secrétaire).
Vous serez sûrement intéressée par ces Conseils d’une réviseure pour pondre des textes impeccables.
Stratégies à adopter : les accords
L’accord des verbes et des adjectifs peut soulever plusieurs questionnements. Dites-vous qu’en règle générale, le masculin pluriel est tout à fait acceptable. Ceci est vrai peu importe l’ordre dans lequel les genres sont présentés. Dans le doute, je vous suggère de mettre le nom masculin le plus près du verbe ou de l’adjectif afin d’éviter les dissonances. Assurez-vous tout de même de vérifier auprès du client s’il ou elle privilégie un certain ordonnancement.
En ce qui concerne l’accord des participes passés, le recours à la voix active peut parfois vous aider à faire des miracles. Ainsi, l’on dira « on a invité tous les journalistes » au lieu que « tous les journalistes ont été invités ».
D’autres techniques telles que l’utilisation de l’infinitif pour les descriptions de tâches, ou l’omission de noms désignant des personnes (la majorité plutôt que la majorité des employés) peuvent aussi être employées dans la rédaction de textes épicènes.
Afin de vous guider dans votre processus d’écriture, je vous suggère de consulter la Banque de dépannage linguistique de l’OQLF. Cet outil très utile contient quelques articles sur le sujet.
Techniques à éviter
Peu importe le type de document, l’intelligibilité et la lisibilité du texte sont essentielles pour capter l’attention de l’auditoire et l’inciter à poursuivre sa lecture. C’est pourquoi les formes tronquées qui utilisent des signes graphiques tels que l’oblique, les parenthèses, les traits d’unions, etc. sont fortement déconseillées. Difficile en effet de se concentrer sur le message de la phrase lorsque l’on se bute continuellement à des éléments qui en entravent la linéarité.
Veillez également à utiliser avec parcimonie les doublets mentionnés plus haut, afin de ne pas surcharger le texte. Les formes féminines irrégulières qui ne suivent pas les règles morphologiques du français sont également à éviter (directeure au lieu de directrice).
Rédiger épicène, une habitude à prendre
Dans le meilleur des mondes, il ne faudrait pas corriger un document écrit au masculin, mais plutôt rédiger épicène dès le départ. Plusieurs facteurs déterminent le degré de neutralité d’un texte et en justifient le niveau de féminisation. Par exemple, cela peut dépendre de la situation de communication ou du public cible. En variant les formes et les différents procédés, on s’assure de pondre un texte adapté au contexte et qui restera naturel et agréable à lire.
La rédaction épicène est encore malheureusement peu connue, et certaines personnes y voient une perte de temps. Il faut toutefois se rappeler que la langue reflète la mentalité d’un peuple, sa façon de penser et de voir le monde. C’est un outil puissant, autant du côté de la politique que de l’éducation. Ignorer l’égalité des sexes dans ses écrits exprime une indifférence qui n’a plus sa place aujourd’hui. À nous de nous adapter et de faire évoluer les mentalités!
Super intéressant et extrêmement utile. Merci.