Entrevue avec Julie Arseneault, conseillère d’orientation
Le concept de compétences transférables (qu’on appelle aussi compétences transversales ou compétences clés) est dans l’air depuis déjà plus d’une quinzaines années. Mais bien qu’on ait à peu près toutes déjà entendu le terme, peu d’entre nous seraient vraiment capables de définir en quoi elles consistent, pourquoi elles sont essentielles et surtout comment elles dirigent notre vie professionnelle.
J’ai donc posé ces questions à une experte : Julie Arseneault, conseillère d’orientation et doctorante en orientation professionnelle à l’Université Laval. Son parcours éclectique représente d’ailleurs un excellent exemple de ce qu’il est possible de réaliser en tirant profit de ses compétences transversales.
Apprendre son métier « sur le tas »
Julie Arsenault a suivi une voie professionnelle qui semble à première vue plutôt tortueuse. Ce parcours l’a menée partout, sauf là où elle envisageait d’aller en sortant du secondaire.
« Quand j’ai terminé le secondaire, j’ai décidé d’aller en lettres. Mon objectif était de m’inscrire en littérature à l’université, de faire ma maîtrise et de devenir enseignante au collégial. C’était assez clair à ce moment-là. Mais au cours de mes études, j’ai des ennuis de santé qui m’ont finalement obligée à abandonner ma maîtrise », raconte-t-elle.
La nécessité de se trouver un emploi au plus vite l’a amenée à accepter un poste d’adjointe administrative dans une entreprise immobilière. « Un jour, j’ai vu une offre d’emploi à l’Office national du film. Comme j’étais une passionnée de cinéma documentaire, j’ai postulé. J’y suis entrée comme adjointe administrative. De fil en aiguille, je suis devenue agente de mise en marché en cinéma documentaire. » C’est alors le monde du marketing qui s’est ouvert à elle.
Tous ses collègues étaient, comme elle, arrivés là un peu par accident. « Personne n’avait de diplôme en marketing! Ils avaient étudié en cinéma, en littérature, en anthropologie, en histoire, en communication, etc. » Bref, à part quelques formations suivies ici et là, tout le monde a appris son métier « sur le tas ».
Le parcours de Julie le prouve. Il est tout à fait possible de passer d’un domaine à l’autre lorsqu’on connaît ses compétences transférables et qu’on est en mesure de les faire valoir. D’ailleurs, après huit ans à organiser des lancements et à orchestrer des plans de mise en marché, elle a eu besoin de puiser de nouveau dans ses compétences clés lorsqu’elle est retournée aux études en orientation professionnelle. Un univers complètement différent de celui du marketing. Toutefois, le fil qui les liait était évident.
Une compétence transférable comme fil conducteur
Ce qui a traversé la carrière de Julie Arseneault tient en trois mots : la compétence narrative. « J’aime me faire raconter des histoires. Je me souviens d’avoir eu hâte d’apprendre à lire pour ne plus dépendre de mes parents pour me faire raconter des histoires. Celles qui retenaient le plus mon attention, c’était les récits d’humains. Donc, ce n’est pas nécessairement la forme des récits qui m’attire. C’est plus ce qu’on me raconte qui vient me toucher. »
Le choix d’étudier en littérature s’inscrivait tout à fait dans cet intérêt; celui de travailler dans le cinéma documentaire aussi. Et maintenant, son travail de conseillère d’orientation consiste en grande partie à écouter des gens lui raconter leur vie professionnelle.
« D’ailleurs, un théoricien que j’aime beaucoup, Mark Savickas, dit que la compétence narrative », c’est-à-dire la capacité à retenir les détails d’un récit pour en dégager du sens, « est l’une des principales que doit maîtriser le conseiller d’orientation aujourd’hui. »
Les compétences transversales : comment les définir?
Ce qui nous amène à définir les compétences transférables ou transversales. Pour commencer, qu’est-ce, exactement, qu’une compétence?
« D’abord, il faut distinguer le fait d’avoir des compétences et celui d’être compétent, précise-t-elle. À l’époque où le travail était organisé autour de métiers, on considérait comme étant des compétences les différentes tâches qu’un employé devait accomplir : opérer telle machine, connaître tel code, etc. On voyait alors la compétence comme l’addition de savoir-être, de savoir-faire et de connaissances. De nos jours, le travail s’organise autrement. On voit alors plus la compétence comme la mobilisation des ressources de la personne. Le travailleur doit coordonner ses savoir-être, ses savoir-faire et ses connaissances pour remplir les exigences de son emploi. »
Pour ce qui est des compétences transversales, ce sont les savoir-être, les savoir-faire et les connaissances qu’on peut mobiliser dans plusieurs contextes différents, et pas seulement dans un emploi. Ce peut être, par exemple, l’organisation, le leadership, la capacité de synthèse et d’analyse ou la communication.
Le bilan de compétence : un outil de découverte de soi
Pour pouvoir mettre en valeur ses compétences clés, l’introspection est d’abord indispensable. La meilleure façon de les découvrir est d’établir un bilan de compétence.
« Le mot « bilan » veut dire qu’on retourne sur son parcours, explique Julie. On fait la liste des tâches effectuées non seulement dans les différents postes qu’on a occupés dans sa vie, mais aussi dans ses expériences bénévoles, dans ses loisirs, etc. Donc, on part de nos savoir-faire et des rôles qu’on a joués. On peut aussi partir de la liste de nos grandes réalisations, celles dont on est le plus fière. On se pose la question “Quand est-ce que j’ai été la meilleure?” et on tente d’y répondre. » C’est une démarche qu’on effectue souvent dans le cadre d’un accompagnement en orientation. Cependant, il est aussi possible de le réaliser par soi-même.
Outre la découverte de soi, le bilan de compétence sert aussi à justifier ses compétences, c’est à-dire à les lier à des réalisations bien concrètes. « Dans un contexte de recherche d’emploi ou de changement de carrière, il faut pouvoir donner des preuves des compétences transversales qu’on fait valoir. Ce n’est pas tout de dire en entrevue : “J’ai un bon sens de l’organisation”. Pour être crédible, il faut pouvoir justifier son affirmation », ajoute Julie.
Le bilan de compétence, c’est aussi pour les entrepreneurs
Le bilan de compétence peut également servir aux travailleurs autonomes ou aux entrepreneurs. « Quand on est entrepreneur, ne peut pas toujours tout faire soi-même ». Julie remet en question le principe du jack-of-all-trades, l’entrepreneur qui peut se montrer pleinement compétent dans tous les aspects de son entreprise. « Le bilan de compétence permet d’énumérer les rôles que le fait de diriger sa propre entreprise exige de jouer et d’évaluer son niveau de compétences dans chacun de ces rôles. Où sont les déficits? Comment les compenser? Par une collaboration? Par des outils? »
Cela permet à l’entrepreneur de miser sur ses forces, tout en déléguant les rôles pour lesquels il a peu de compétences ou d’intérêt. Lorsqu’on envisage de prendre un partenaire, connaitre ses forces et ses lacunes peut, entre autres, aider à dresser le portrait du partenaire d’affaires idéal. Le bilan donne aussi l’occasion de cibler les rôles qu’on aimerait exercer, mais pour lesquels on a besoin d’un coup de pouce. C’est particulièrement utile pour choisir parmi la multitude de formations offertes aux pigistes et aux entrepreneurs, un marché en plein essor.
Le moment idéal pour un bilan de compétence
Selon Julie, c’est dans des périodes de remise en question que le besoin de faire l’inventaire de ses compétences se fait sentir. Chez les gens qu’elle rencontre, ce bilan s’effectue la plupart du temps lors de passages importants de la vie professionnelle : une perte d’emploi, un changement de poste, un retour aux études, etc. Le bilan de compétence constitue alors un moment de reprise de confiance en soi. En effet, les gens découvrent qu’ils ont développé par eux-mêmes des compétences précieuses au cours de leur carrière. « Cela dit, ajoute Julie, quelqu’un pourrait aussi bien décider faire un bilan de compétence en dehors de passages professionnels clés. »
Bref, il n’est jamais trop tard ou trop tôt pour faire son bilan de compétences. Le désir de découvrir ses propres compétences transférables est sans aucun doute une excellente raison pour s’y mettre.
À vous maintenant : dites-nous quelle compétence vous a été la plus utile dans votre carrière. Laquelle auriez-vous besoin de développer davantage?
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