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Kendall, colère et boissons froides : leçons de marketing à tirer du cas Pepsi

Dans le monde du fiasco publicitaire, le cas Pepsi vient de se tailler une place de choix. Si vous n’avez pas encore vu ces deux minutes d’opportunisme dadais mettant en vedette Kendall Jenner, en voici un bon compte-rendu. Notez cependant que moins de 24 heures après sa diffusion, Pepsi a retiré la vidéo en s’excusant pour la bourde.

 

C’est rare qu’une marque suscite un sentiment si fort chez moi. Cette fois, c’était de la légitime colère, du dégoût, de l’incrédulité. Je ne pouvais pas croire qu’une entreprise bénéficiant d’un budget de marketing aussi gigantesque se mette un doigt aussi gros dans l’œil. Est-ce que la stratégie était de semer la controverse pour attirer l’attention? C’est un move de RP assez classique. Mais était-ce vraiment une bonne idée d’aller jusque-là?

 

Au fil du temps, j’ai appris à analyser minutieusement ce qui crée de fortes émotions chez moi, surtout lorsqu’elles sont négatives. J’essaie le plus possible de tirer parti des situations fâcheuses que je rencontre. Voici donc les cinq leçons sur l’image de marque et le marketing que l’on peut tirer du cas Pepsi.

Leçon 1 : connaître son public cible comme le fond de sa poche

 

Une fois le choc initial passé, je me suis tout de suite demandé quel était le réel objectif de Pepsi. Cette vidéo d’un vide incommensurable – à la limite de l’amateur – était surprenante, voire dérangeante de maladresse.

 

Une célébration sans gêne dans laquelle le contexte politico-social semblait tout simplement rejeté d’un revers de la main. Comme si toutes les manifestations contre la violence, l’injustice et les inégalités qui sévissent dans le monde – ici plus spécifiquement en lien au mouvement Black Lives Matter – ne faisaient partie que d’un mauvais rêve momentané.

 

Pourquoi manifester quand le monde est une fête? Pourquoi la haine quand nous pouvons tous nous réunir dans le plaisir et dans la joie? Pour bien des gens, la réponse est simple. Parce que jour après jour, des communautés entières souffrent, et ça c’est loin d’être réjouissant. La grosse erreur que je perçois dans le cas Pepsi est de tenter d’effacer et par la même occasion de délégitimiser, sous le couvert d’une narrative rose bonbon, les luttes bien réelles de peuples opprimés.

Serais-je confuse?

 

Mais après une réflexion plus poussée, j’en suis arrivée à une autre conclusion. Peut-être qu’ici c’est moi qui fais erreur. Cette vidéo, après tout, ne m’était pas destinée (je n’ai jamais bu et ne boirais jamais de Pepsi). Elle n’était pas non plus destinée aux activistes qui descendent dans la rue pour manifester. Ni à ceux qui se sentent responsables de l’avancement de la cause #BlackLivesMatter. Cette pub s’adresse aux non politisés, à ceux qui espèrent que tout le monde s’entende une fois pour toutes et cesse avec ces fâcheuses protestations.

 

C’est Ian Bogost dans The Atlantic qui a le mieux résumé ma réalisation sur l’objectif de cette publicité. « Le climat politique actuel angoisse plus d’un Américain. Pour certains d’entre eux, la réponse à une telle angoisse est de s’agiter et de protester. Mais pour d’autres, le répit vient avec le rêve d’un futur rapproché dans lequel toute l’anxiété fond comme neige au soleil, comme un soda bien frais apaisant une grande soif. »

 

L’on peut effectivement se questionner sur le public ciblé par Pepsi. Soit l’équipe marketing a témoigné d’une ignorance désarmante face aux problématiques raciales qui animent son public, soit elle a manifesté d’une subtilité hors pair dans son ciblage de la population silencieuse qui désire plus que tout mettre sur pause l’inconfort que suscite le contexte politique actuel. Difficile de trancher.

Leçon 2 : choisir ses porte-paroles et influenceurs judicieusement

 

Nous touchons donc à un autre élément révoltant de cette publicité : le choix de Kendall Jenner comme lead. Alors que la (très mince) manifestation se produit, Kendall entre en scène pour polir le rêve utopique pensé par Pepsi. Elle y est dépeinte en plein photoshoot. Elle retire soudainement sa perruque blonde à la vue des manifestants.

 

Commentaire habile sur l’idée de vrai et de faux, d’apparence et de réalité? C’est assez ironique (ou pas!) de se rappeler que Kendall Jenner a bâti sa réputation sur le média social le plus fake qui soit, Instagram. (Après tout, qu’est-ce qu’Instagram sinon une plateforme permettant de cadrer la réalité de la manière la plus attirante et esthétique possible?)

Kendall Jenner Cornrows Appropriation

La famille Jenner-Kardashian a fait les manchettes pour de nombreux cas d’appropriation de la culture afro-américaine.

Plusieurs ont critiqué le choix de Pepsi soutenant que Jenner (et sa famille élargie) a une « relation vampirique avec la culture afro-américaine ». Elle s’approprie sans scrupule la culture tout en restant à l’écart des luttes qui y sont associées.

Kendall, qui n’a aucune affiliation connue avec le mouvement #BlackLivesMatter ne semble encore une fois que surfer la vague, s’appropriant la symbolique visuelle entourant la cause pour générer un profit personnel. S’il y a une personne qui représente le « privilège blanc », c’est bien elle.

 

Pourquoi alors la mettre au premier plan d’une non-manifestation évoquant un mouvement racial, alors qu’elle-même symbolise le problème systémique en question? Était-ce un exercice d’ironie poussé à l’extrême? À vous de décider : faux pas marketing ou distribution impeccable?

Leçon 3 : avoir le guts de ses positions et demeurer cohérent

 

C’est assez évident que le marketing social (ou marketing de cause) est au goût du jour. Selon une étude du Global Strategy Group, 72% des adultes croient qu’il est important pour les entreprises d’adresser les problématiques sociales. En résultent des marques qui tentent désespérément de téter la popularité de différentes causes qui s’alignent parfois très mal avec leur mission fondamentale (pensez diversité corporelle et Vogue, par exemple).

Le hic, c’est que la plupart des consommateurs – surtout de la nouvelle génération – ont un radar très aiguisé lorsque vient le temps de déceler les desseins douteux d’une marque. Sauter sur une cause pour en tirer du profit est unilatéralement perçu comme inauthentique. Et de nos jours l’inauthenticité est le pire crime qu’une entreprise peut commettre.

Prêcher par l’exemple avant tout

 

Vogue Cover March 2017

VOGUE essaie ici de « briser les stéréotypes » avec sa couverture promulguant la diversité corporelle. Quelque chose qui cloche?

Dans un article publié sur le site Digiday en avril 2016, Adam Kleinber, président de la firme Traction, soutient que les médias sociaux ont contribué à parfaire cette sensibilité chez les consommateurs : « Toutes les marques ont une responsabilité sociale d’entreprise, mais cela ne veut pas dire que cette dernière doit se traduire en opportunité promotionnelle. Il faut prêcher par l’exemple, car les consommateurs sauront le reconnaître le temps venu. »

 

Anecdote personnelle : je travaillais pour une entreprise qui s’est soudainement rendu compte (en 2015) qu’elle aurait peut-être avantage à se doter d’une politique de développement durable. *roulement d’yeux* J’avais donc la tâche de rédiger ledit document. Seulement, j’ai tout simplement refusé de le faire. On me demandait de trouver des façons de présenter la compagnie comme ayant des initiatives « vertes » alors que l’on nous interdisait d’imprimer recto verso (mauvais pour les imprimantes) et que les tiroirs de la cuisine débordaient d’ustensiles en plastique à usage unique. B***s***.

 

Dans le cas de Pepsi, c’est un peu la même chose. Pourquoi une entreprise qui est loin d’être très vocale sur la scène sociale décide-t-elle, du jour au lendemain, de mettre en scène cette mascarade? Ça n’a pris que quelques heures avant que la bombe explose sur les médias sociaux. Le public n’est pas dupe. L’inauthenticité pue au nez.

Leçon 4 : ne pas s’approprier le travail ou la réputation d’autrui

 

Enfin, probablement ce qui a le plus choqué la médiasphère a probablement été la fameuse scène finale ou Kendall Jenner, exaltée par un sentiment de communauté nouvellement acquis, tend une canette à un policier d’allure assez inoffensive. Alors que l’on pouvait encore jusque-là ignorer volontairement les clins d’œil de moins en moins subtils au mouvement #BlackLivesMatter, ce dernier cliché soulève toute ambiguïté.

 

Il s’agit d’une référence frappante avec la photo de Leshia Evans se tenant immobile devant les policiers lors d’une manifestation à Baton Rouge, suivant la mort d’Alton Sterling, assassiné lors d’une altercation avec des policiers. Si ce n’est pas de l’appropriation outrageante, merci de m’expliquer ce qui en est.

Leshia Evans Baton Rouge

Le cliché de Leshia Evans tenant tête à des policiers à Bâton Rouge, en Louisianne

De plus, outre cette appropriation directe, Pepsi emprunte sans aucun scrupule le vocabulaire visuel de la protestation sans pourtant adhérer à quelconque message politique, sans prendre parti. Ceci perpétue une dangereuse idée : l’équation entre consommation et action.

Nous ne sommes pas dupes

 

Rebecca Nicholson, journaliste pour le Guardian, écrit avec justesse : « Dans son appropriation crue et multidimensionnelle de l’activisme politique, Pepsi a agi de façon irresponsable tout en tentant de passer le tout sous la bannière de la conscience sociale.»

Dans le même article, John Jewell, professeur de publicité, propagande et communication politique à l’Université de Cardiff, ajoute que Pepsi aurait même contribué négativement aux mouvements activistes en s’appropriant leur langage.

 

« La publicité suggère que vous n’avez pas vraiment besoin de prendre activement part au mouvement #BlackLivesMatter si vous êtes blanc. Tout ce que vous avez à faire, c’est d’acheter un Pepsi et votre support est télégraphié. Dans un sens, lorsque nous supportons des causes sur les médias sociaux – que ce soit pleurer pour la France ou prier pour la Syrie – c’est une continuation de cette mentalité, que nous pouvons offrir notre support à travers notre attitude consumériste. »

 

Et enfin, que dire du placement ridicule de pions figurant toute la gamme de « la diversité »? Couples homosexuels, trans, femmes voilées…ils y passent tous. Pepsi emprunte des symboles pour cocher les boites de son formulaire de « citoyen du monde » sans leur prêter d’essence, en les rendant « saufs pour la consommation ». Il y a des raccourcis qui ne se font tout simplement pas.

Leçon 5 : aligner sa mission et ses valeurs

 

C’est une technique vieille comme le monde. Pepsi voulait vendre du rêve. Et dans ce cas-ci, il était question du rêve capitaliste. Un hiatus dans un monde bouleversé par la guerre, la violence et l’intolérance. Pepsi voulait faire l’impossible : tous nous réunir dans un monde dénué de revendications politiques. Un monde socialement aplati par le signe tout-puissant du dollar.

 

Peut-être que ceci (et tout ce qui a été dit précédemment) correspond à la stratégie de marque de Pepsi. Dans ce cas, leur choix est clair et nous voyons bien vers qui ils tentent de se rapprocher et de qui ils préfèrent s’aliéner. Mais ce type de marketing brutal est loin de correspondre à ce que font d’autres entreprises qui tentent réellement d’aligner leur marque avec leurs valeurs sociales et leur engagement à changer le statu quo.

 

J’aurais bien voulu terminer sur une série d’exemples positifs, mais je préfère vous garder à l’affût de ce qui vient d’être dit. Il est temps peut-être de faire le bilan de vos propres motivations. À titre d’entrepreneur (ou même d’employée), votre entreprise est-elle cohérente dans sa mission et ses valeurs? Prenez-vous position face aux grandes problématiques de société (l’environnement, l’égalité, la diversité…)? Car si ce n’est pas le cas, mieux vaut y prendre garde, car tôt ou tard l’on vous demandera de rendre des comptes.

 

Je vous laisse sur cette vidéo de la compagnie Thirty Rev qui est sortie pas plus tard qu’hier:

5 leçons marketing à tirer de la publicité de Pepsi

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À PROPOS DE L’AUTEURE

Tatiana St-Louis

Adepte de littérature russe et collectionneuse de lunettes de designer, Tatiana a fondé Aime Ta Marque pour donner des outils aux femmes de carrière et entrepreneures pour mieux raconter leur histoire personnelle. Spécialiste des communications basée à Montréal, elle s'implique au sein de plusieurs communautés visant au développement professionnel des femmes.
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2 Commentaires

  1. Amélie

    Article très intéressant, d’autant plus que je n’avais aucune connaissance de cette polémique… Personnellement si j’avais visionné la pub sans tes commentaires, elle ne m’aurait pas choqué puisqu’elle ne fait référence à rien que je connaisse ( ni le mouvement #BlackLivesMattern ni la miss Jenner que je ne connaissais que vaguement de nom… non je ne vis pas dans une grotte, je suis minimaliste dans les actualités que je choisis de suivre comme dans mon intérieur) Ceci dit, comme toi je me pose vraiment la question du public à qui ça aurait pu etre destiné… Mystère !

  2. Tatiana St-Louis

    Merci pour ton commentaire Amélie et je suis contente d’avoir pu mettre en lumière cette controverse. C’est intéressant d’entendre que ta réaction a été bien différente, n’ayant pas les mêmes référents (et je te comprends tellement de bien choisir ce que tu suis dans les actu, j’essaie d’être parcimonieuse également.. mais Facebook gâche tout haha!). Raison de plus d’essayer de comprendre la stratégie de Pepsi. Ils sont loin d’être innocents; je suis certaine qu’ils connaissaient tous ces référents. En tout et pour tout, commme tu dis, mystère et boule de gomme!

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