Depuis ma douce entrée dans le monde entrepreneurial, je constate à quel point les personnes atteintes de TDA/H semblent s’y plaire. Beaucoup de créativité et de folie, très peu d’organisation et d’attention. L’accord parfait pour devenir entrepreneur, quoi!
Pas de patron qui dicte nos tâches, pas d’horaire fixe, un emploi taillé sur mesure pour les mille et un projets qui bouillonnent dans notre tête… Est-ce que le monde flexible du travail autonome et de l’entrepreneuriat serait tout indiqué pour les gens atteints d’un TDA/H?
Le TDA/H, c’est quoi?
Une personne atteinte d’un TDA/H est affectée gravement par divers symptômes tels qu’un déficit d’attention, un manque d’organisation, des difficultés de gestion ou d’autogestion, une grande impulsivité, une facilité à tout oublier et perdre, etc. Avant de pousser plus loin la réflexion, j’ai envie de préciser un point. Certes, nous vivons tous et toutes des périodes où l’un ou plusieurs de ces symptômes peuvent se manifester. La société semble atteinte de TDA/H. Tout le monde oublie ses clés ou un rendez-vous. Tout le monde procrastine. Mais ça n’affecte pas notre vie pour autant. Une personne atteinte de TDA/H le vit de façon constante et sa vie en est affectée.
Pour les fins de cette article, j’ai questionné des entrepreneures – dont Jacinthe Boisvert, Véronique Brisson et Josiane Stratis – ayant toutes reçu le diagnostic de TDA/H. Je voulais connaître les raisons qui les ont poussées vers l’entrepreneuriat, mais aussi mieux comprendre ce qu’elles vivent au quotidien.
Un diagnostic pour mieux (se) comprendre
Pour Josiane Stratis, cofondatrice et rédactrice en chef de Ton Petit Look (TPL) et TPL Moms, le diagnostic lui a permis enfin de mieux se comprendre. Diagnostiquée avec un TDA avec haut potentiel, elle jouit d’une grande créativité : elle est pleine d’idées, toujours prête à innover et peut facilement écrire sept articles en l’espace de 2 heures et 30 minutes! Cependant, c’est l’organisation qui lui cause problème, surtout en ce qui concerne le respect des échéances et des horaires.
Pour s’appuyer l’une l’autre, les sœurs Stratis ont mis au point un processus qui permet à Josiane de ne pas avoir à se préoccuper de la gestion du temps. De plus, le calendrier est tenu à jour et le plus clairement possible par le coordonnateur des ventes et par sa sœur (et par tout ceux qui lui font des rappels!). Enfin, il y a la médication. Même si cette dernière en fait frissonner plusieurs, la femme d’affaires y voit un certain salut, une possibilité de fonctionner normalement.
Comment le TDA/H affecte le quotidien des entrepreneures
Pour Jacinthe Boisvert, designer et présidente chez Nënë Tooti, les effets sont plutôt semblables. Malgré son immense créativité, elle souffre d’un grand manque de structure : « Je dois faire des horaires et être dure avec moi-même, admet-elle. Je cherche encore la meilleure astuce [pour gérer ce trouble], mais je dois souvent faire des pauses ».
En effet, comme l’explique une quatrième entrepreneure qui préfère taire son nom, prendre des pauses pour se ressaisir sont des trucs permettant de se réorganiser quand « ça va trop vite ». Elle s’oblige même à faire des siestes lorsque l’anxiété est au rendez-vous. Il n’y a pas de solution miracle selon elle, autre que de trouver du soutien et de se confier. Par ailleurs, tout comme Josiane, elle aussi perçoit le côté positif d’un TDA/H, soit la créativité et le besoin d’aller toujours plus loin, des atouts majeurs pour une entrepreneure.

De récentes recherches semblent plutôt indiquer une tendance contraire : les femmes seraient plus souvent touchées que les hommes!
Malgré un grand soutien de la part de son conjoint, Véronique Brisson, photographe professionnelle, a également eu de la difficulté à mettre de l’ordre dans sa routine : aucun suivi de clients, aucun suivi des paiements à recevoir, absence de stratégie marketing… « Je faisais du gros n’importe quoi! » avoue-t-elle candidement. C’est suite à son diagnostic de dépression sévère, causé par un TDA, qu’elle a enfin mis le doigt sur le problème. La médication a été d’une grande aide. Maintenant qu’elle est enceinte, elle doit cependant mettre une pause sur celle-ci. Véronique doit donc s’assurer de tout écrire et d’essayer de suivre sa liste de tâches : « C’est loin d’être évident. »
Femmes, entrepreneuriat et TDAH/H
On parle souvent des hommes atteints de TDA/H, car jusqu’à récemment, les études s’étaient surtout intéressées aux jeunes garçons. Toutefois, de récentes recherches semblent plutôt indiquer une tendance contraire : les femmes seraient plus souvent touchées que les hommes! « Les garçons hyperactifs reçoivent généralement l’aide dont ils ont besoin, parce que leur comportement dérangeant attire l’attention de l’entourage sur leurs problèmes, tandis que les filles ont souvent un meilleur comportement et n’attirent pas l’attention de la même manière, » peut-on lire sur le site TDAH Belgique. C’est notamment le cas de Josiane, qui aurait voulu apprendre plus tôt qu’elle avait un TDA. Son frère, lui, a pu recevoir un diagnostic précoce.
Peut-on cependant dire que l’entrepreneuriat est une voie davantage adaptée pour ceux qui souffrent d’un trouble de l’attention? « La flexibilité des horaires, ne pas avoir à s’inquiéter d’être à l’heure…» raconte Josiane Stratis, c’est effectivement une des raisons qui pousse ces femmes à devenir leur propre patronne. De son côté, Jacinthe avoue avoir toujours eu de la difficulté à écouter et à suivre les directives à l’école. C’était plutôt une autodidacte : « C’est assez commun. Je le vois quand je parle avec des artistes qui, finalement, souffrent aussi d’un TDA/H. […] Je pense que le cerveau d’un TDA/H n’est pas fait pour supporter le 8 à 4. »
Au-delà de l’anxiété
« C’est un métier qui contient tellement d’imprévus et d’anxiété, du fait que je me demande toujours pourquoi je fais ça alors que mon cerveau pourrait bénéficier d’une routine claire et constante, » tente d’expliquer notre quatrième entrepreneure. « Au final, je pense que c’est simplement parce qu’être son propre boss, c’est beaucoup plus facile et beaucoup plus agréable en tant que personne atteinte d’un TDA/H. On ne subit pas le regard des autres, on doit répondre à nos propres exigences et, surtout, on connaît nos limites. C’est vraiment plus facile que de devoir toujours se justifier ou expliquer comment on fonctionne. »
Bref, aucune d’entre elles n’est surprise de voir qu’autant de personnes atteintes de TDA/H choisissent l’entrepreneuriat. Les horaires fixes et l’emploi stable et à long terme, ne leur en parlez même pas. Et bien que l’entrepreneuriat exige beaucoup d’organisation et une bonne gestion du temps, il semblerait que les bénéfices d’être à la tête de son entreprise soient globalement plus importants pour les personnes atteintes d’un déficit d’attention. « Des études ont démontré que les gens atteints d’un TDA étaient de meilleurs entrepreneurs, ajoute Véronique. Il faut juste être bien outillé et savoir exactement où l’on s’en va! »
Et entre vous et moi, leur créativité nous est plus bénéfique ainsi!
Pour aller plus loin…
[Articles]
Catherine Handfield. Trouble de déficit d’attention : mêmes troubles, symptômes différents, La Presse, 23 février 2016.
Maria Yagoda. « Je me croyais conne » : avec les femmes atteintes d’un trouble du déficit de l’attention, VICE, 10 août 2016.
Régine Gagnon. Top 5 des achats utiles (pour vrai) d’une TDA/H, Ton Petit Look, 19 juillet 2017.
[Reportage]
Mireille Chayer. Vivre avec un déficit d’attention, Ici Radio-Canada, 3 février 2015.
[Livres]
Annick Vincent. Mon cerveau a ENCORE besoin de lunettes: Le TDAH chez l’adulte, Éditions Québec-Livres, 2014.
Sari Solden. Women With Attention Deficit Disorder: Embrace Your Differences and Transform Your Life, Introspect Press, 2012.
Très bon article, Éveline! Ça porte à réflexion. Sans être TDA/H, j’apprécie beaucoup de pouvoir prendre des pauses quand je veux, de la durée que je veux, quitte à travailler en soirée ou la fin de semaine… bref, travailler quand je suis productive et non quand on me dit de le faire! Par l’article, je comprends que c’est encore plus précieux pour ces personnes à la concentration capricieuse 🙂
Article très intéressant. Je ne connaissais pas du tout ce trouble de l’attention et cela ne m’étonne absolument pas que ce soit des personnalités beaucoup plus créatives. D’ailleurs l’entreprenariat est également, pour beaucoup, des métiers où la créativité est de rigueur car il faut fourmiller d’idée et toujours proposer de nouvelles choses.