On assiste actuellement à une petite révolution auprès des nouvelles générations de travailleuses et de travailleurs. Le modèle qui prévalait — emploi salarié de 9 à 5, famille nucléaire, maison, auto, chalet si on est chanceuse, REER et retraite — est moins systématique qu’il ne pouvait l’être il y a vingt, trente, cinquante ans. Les emplois sont plus diversifiés et plus précaires. Il émerge de plus en plus de pigistes, de contractuelles, d’entrepreneures. Les carrières évoluent. En fait, on peut en avoir plusieurs au cours d’une vie. Évidemment, les choix de vie qui découlent de cette précarité se font sentir. Par exemple, la propriété immobilière n’est pas un but que tous peuvent envisager. Pour plusieurs, pour la maison et le chalet, on repassera. Bref, les temps changent, et les normes sociales s’adaptent.
Ces changements de normes peuvent signifier plus de liberté, plus de choix, plus de cheminements et de parcours possibles. On a le droit de tout essayer, de se tromper, de recommencer. On a le droit de se lancer en affaires, de créer un métier de ce qui nous passionne. Mais ce champ des mille possibles peut apporter à la fois soulagement et angoisse à plusieurs niveaux.
Dans cette nouvelle réalité, qu’est devenu le succès? Y a-t-il toujours un moment dans une carrière où l’on peut se dire « voilà, j’ai réussi »? Sans promotion ni augmentation de salaire, sans maison, sans auto, comment définit-on le succès quand on est entrepreneure de nos jours?
Un chemin semé d’embûches
Bien évidemment, les repères ne sont plus les mêmes. Mais en tant qu’être humain, on ressent le besoin d’obtenir gratification et reconnaissance pour le travail que l’on a accompli. On veut sentir que l’on a officiellement réussi. Si les normes d’autrefois ne s’appliquent plus pour déterminer l’atteinte de cette réussite, on en cherchera de nouvelles pour s’assurer d’y arriver.
Il convient donc de se questionner sur ces normes, et sur l’importance que l’on y accorde. Observons-en deux de près.
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Les étapes
Les fameuses étapes. En tant qu’entepreneure, on commence souvent tout doucement, soit à temps perdu parallèlement à un emploi à temps plein ou partiel, ou encore en chérissant ses derniers chèques d’assurance emploi. On commence à travailler de chez soi, dans sa chambre ou sur le coin de sa table de cuisine. On travaille le soir et la fin de semaine, on travaille seule.
Et on se convainc que pour être une VRAIE entrepreneure, tout ça doit changer.
Ça sonne une cloche? Une vraie entrepreneure ne travaille pas en robe de chambre de son lit, elle a un bureau. Elle a des employé.e.s ou des sous-contractant.e.s, ou des associé.e.s. Un.e comptable. Elle a un numéro de téléphone et un ordinateur réservés à son travail. De plus, elle a une carte professionnelle, un logo, un site web, une page Facebook avec au moins cinquante recommandations, 500+ relations LinkedIn. Elle a, elle a, elle a…
Et si elle était une vraie entrepreneure dès le départ? Si, dès qu’elle commence à travailler pour elle-même et à être capable de se dégager du temps pour le faire, elle avait réussi? Et si on arrêtait de n’être jamais satisfaite du chemin parcouru, et surtout, du chemin qu’on emprunte jour après jour?
Je lance ça comme ça.
Évidemment, pour avoir une entreprise ou un projet qui avance, il est utile, voire essentiel, de se fixer des objectifs et de travailler pour les atteindre. Il n’y a aucun doute là-dessus. Mais ces objectifs doivent refléter de réels besoins et valeurs, et non une série d’étapes représentant l’idée que l’on se fait d’un parcours réussi.
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Les autres

J’ai analysé tout ce que les autres semblaient faire et utiliser (ceux qui semblaient avoir du succès), et je me suis promis de le faire. Et j’ai fait des crises d’angoisse à répétition.
Le pire des dangers. Quand j’ai commencé ma nouvelle vie comme pigiste, j’étais pleine de questionnements. J’avais l’impression d’improviser en permanence, j’avais le syndrome de l’imposteur. Puis, j’ai découvert les communautés virtuelles de pigistes : les groupes Facebook, les forums, les sites web, les blogues. Enfin, je n’étais plus seule! Je pouvais poser des questions, recevoir des conseils, lire les questions des autres, lire les réponses des autres aussi… Et me comparer. Oups.
Je suis entrée dans une spirale nocive de to-do lists. J’ai analysé tout ce que les autres semblaient faire et utiliser (ceux qui semblaient avoir du succès), et je me suis promis de le faire. Et j’ai fait des crises d’angoisse à répétition.
Comme entrepreneure ou pigiste, on travaille souvent seule. Le besoin de communiquer et de voir comment les autres s’y prennent, pour s’assurer qu’on est sur la bonne voie, est réel. Mais il faut prendre ce qu’on voit avec un grain de sel. Les gens avec qui vous pouvez vous comparer n’ont pas la même expérience que vous.
Ils ont parfois un type de clientèle et une réalité totalement différente des vôtres. Ils ont des besoins, des services et des objectifs complètement différents des vôtres. Et comme il y a autant de types d’entreprises que d’entrepreneures, ils ont probablement une vision du succès qui n’est pas la même que la vôtre.
Ces communautés valent de l’or pour aller chercher des conseils et pour s’épauler entre weirdos qui travaillent sans patron et qui tentent de faire ça comme il faut. Mais elles doivent en rester là. Vos objectifs, vos rêves, doivent venir de vous, pas d’une étude maladive d’un fil de nouvelles.
Le chemin idéal
On met tellement de temps et d’énergie à se comparer, à se projeter. À avoir hâte d’être rendue à un certain point, d’avoir du succès. Je nous souhaite que le renversement de la normalité au travail que l’on vit présentement nous soit favorable. Je nous souhaite que l’on puisse se donner la chance de faire notre chemin en ayant moins en tête la ligne d’arrivée. Que nous puissions plutôt avoir une vision du type de chemin que nous avons envie de parcourir pendant les prochaines années, et que l’on puisse marcher sur ce chemin-là et aucun autre.
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