Ep. 90 Assumer pleinement son identité d’artiste avec Francesca Trop

 

Francesca Trop est peintre-philosophe.

 

Qu’est-ce qui l’a amenée à adopter ce rare épithète alors qu’elle avait un emploi respecté et envié en tant qu’avocate?

 

C’est justement à travers la pratique du droit qu’elle a réussi à reconnecter à son identité fondamentale d’artiste.

 

Un geste qui a demandé courage, mais surtout une grande intégrité envers ce qu’elle a toujours su sur elle : la conscience d’être destinée à exprimer sa puissante créativité.

 

Dans l’épisode d’aujourd’hui, on parle des transitions entre ses différentes identités professionnelles qui l’ont amené aujourd’hui à vivre de son art et de ses écrits.

 

Dans cette entrevue profonde et nuancée sur ce qu’est d’être, de devenir et d’assumer sa place d’artiste dans la société, on discute notamment de :

 

  • Quel a été le point de bascule dans sa vie pour se lancer pleinement dans on activité de peintre
  • Comment elle est devenu écrivaine, un peu par surprise
  • Le lien entre l’appel créatif de l’artiste et celui de l’entrepreneur
  • Comment savoir quand une on est prêt à passer à autre chose quand il est question d’un tableau, d’un livre, d’un projet
  • Comprendre et honorer ses cycles de créativité et de productivité
  • Le niveau spirituel du travail : pourquoi c’est important pour toi de maintenir cette dimension en vie

À propos de Francesca Trop

 

A travers les âges, l’art et la mythologie ont souvent marché main dans la main. Francesca Trop poursuit ce dialogue avec l’Histoire et ses mythes, en utilisant la peinture pour réfléchir à l’aventure humaine.

 

Avec ses toiles peuplées de personnages intrigants, elle propose au spectateur un nouveau regard sur le monde qui l’entoure.

 

« Couleur, sens de l’unité par la lumière du tableau, gestuelle contenue, parfois libérée, parfois restreinte, surprise et acceptation de l’accident, sens rare de la structure picturale et goût pour la composition : autant de paramètres qui circonscrivent une artiste authentique.»

 

  • Daniel Lacomme, ancien professeur de l’École des Beaux-Art de Paris, 2018

Francesca a récemment puisé dans son passé d’avocate pour revisiter le monde de la justice: son album « Esprits Juridiques, Mythes et Symboles du monde juridique », également en anglais, est en vente à la boutique du Musée des Beaux-Arts de Montréal.

 

Son second album “Ces grands procès qui ont changé le monde”, publié aux éditions du Passage en 2021, est disponible dans les librairies au Québec et en Europe francophone.

 

Francesca travaille activement à la réalisation de nouveaux projets artistiques et présente des conférences. Ses tableaux font régulièrement l’objet d’expositions et se retrouvent dans quelques collections privées.

Mentionné dans cet épisode :

 

Transcription de l’épisode 90

Ep. 90 Assumer pleinement son identité d’artiste avec Francesca Trop.mp3 – powered by Happy Scribe

On parle beaucoup du syndrome de l’imposteur. Je n’ai jamais ressenti le syndrome de l’imposteur quand j’étais avocate. Je faisais mon travail aussi bien que d’autres, mais moi, je me sentais comme une touriste. Je n’étais jamais chez moi quand j’étais parmi les avocats. Je me retrouvais à la maison quand je rencontrais des inconnus qui faisaient de la peinture. Et j’ai appris le langage des avocats. J’ai plein d’amis, la plupart de mes amis sont avocats ou juges maintenant, mais ce n’était pas ma gagne. Et pour revenir à la question de l’argent, j’ai eu le courage ou la maturité, à 39 ans, de dire: « Bon, ça suffit. Je dois mettre de côté le droit et vraiment embrasser complètement ma carrière artistique », parce que j’étais rendue assez forte pour être humble, pour accepter de peut-être pas être la meilleure peintre au monde, de peut-être pas faire les tableaux les plus fantastiques. Mais j’étais prête à confronter mes limites, puis aller au bout pour découvrir jusqu’où j’étais capable d’aller.

Vous écoutez l’ambition au féminin, épisode 90. Mon nom est Tatiana St-Louis et j’anime l’ambition au féminin, un podcast pour toutes les femmes pleines de vision, de talent et de drive qui désirent redéfinir le succès selon leurs termes et leurs conditions. Chaque semaine, j’explore seule ou en présence d’invitées, les thèmes entourant la réussite professionnelle et personnelle. Mindset, productivité, leadership, branding personnel. C’est le rendez-vous pour réfléchir à la façon dont tu veux vivre ton plein potentiel et laisser ton empreinte dans le monde.

Salut les ambitieuses, comment vous allez aujourd’hui? J’espère que vous allez bien! Contente de vous retrouver, comme à l’habitude, en ce lundi pour un nouvel épisode de l’ambition au féminin. On approche rapidement de l’épisode 100. C’est fou quand même, comment les projets, à force de mettre l’effort, prennent de l’ampleur, prennent de l’amplitude. Et je suis contente de savoir qu’on est déjà à 90 épisodes de cette façon. Bon, aujourd’hui, entrevue très, très intéressante. Tout le monde est intéressant sur l’ambition au féminin, naturellement. Mais une des raisons d’être d’Aime Ta Marque, pour moi, ça a toujours été de mettre en lumière des parcours inspirants dans des gens dont on entend peu parler ou qui ne sont pas tant visibles dans les médias ou des choses comme ça. Et puis, trouver ces perles-là, trouver ces personnes remplies d’ambition et remplies de vision, ça m’inspire. Et c’est la raison pour laquelle je continue, justement, à faire ces entrevues qui ont parfois l’air peut-être déconnectées du sujet du markéting en ligne, du personal branding, du storytelling, etc. Mais qui, selon moi, a vraiment comme mission de mettre en lumière différents parcours, différentes façons de réussir, différentes façons d’assumer qui on est aussi au niveau professionnel. Et la personne que j’ai invitée aujourd’hui, Francesca Trop, représente bien, à mon avis, une de ces personnes qui a eu le courage de suivre sa voie et de devenir la version qu’elle voulait d’elle-même au niveau professionnel. Et ça a pris beaucoup de courage, parce que Francesca est une artiste. Et pour tous ceux qui ont déjà caressé l’idée de peindre, de jouer de la musique, d’écrire, vous savez à quel point on nous décourage, dans la société, à poursuivre ce genre de voie. Parce que c’est justement pas la voie du succès, comme on la décrit bien souvent. Et c’est définitivement quelque chose que moi, personnellement, j’ai toujours lutté avec ça, parce que j’ai toute ma vie, toute ma jeunesse, j’étais quelqu’un de beaucoup attirée par les arts et je les ai laissés de côté à l’université quand la réflexion s’est beaucoup tournée sur qu’est-ce que tu vas faire de ta vie, comment tu vas gagner ta vie, comment tu vas faire de l’argent, etc. Et à chaque fois que je vois quelqu’un qui a réussi à écouter cette voix en elle de suivre la voie de l’artiste, je ne peux que saluer bien bas tout ce que ça prend pour assumer cette identité-là.

Alors, un petit peu à propos de Francesca. À travers les âges, l’art et la mythologie ont souvent marché main dans la main et Francesca Trop poursuit ce dialogue avec l’histoire et ses mythes en utilisant la peinture pour réfléchir à l’aventure humaine. Avec ses toiles peuplées de personnages intrigants, elle propose aux spectateurs un nouveau regard sur le monde qui l’entoure. Francesca a récemment puisé dans son passé d’avocate pour revisiter le monde de la justice. Son album Esprit juridique, mythes et symboles du monde juridique, également en anglais, est en vente à la boutique du Musée des beaux-arts de Montréal. Et elle a tout récemment publié son second album, Ces grands procès qui ont changé le monde, publié aux Éditions du Passage en 2021. Francesca travaille activement à la réalisation de nouveaux projets artistiques et présente des conférences. Ses tableaux font régulièrement l’objet d’expositions et se retrouvent dans quelques collections privées. J’ai rencontré Francesca parce qu’elle était aussi une participante dans un des programmes que je donne. Donc elle a aussi cette fibre entrepreneuriale et toutes ses façons d’être créative, mais aussi ancrée dans la réflexion, dans son expérience du droit, dans ces différentes transitions qu’elle a passé à travers sa vie pour découvrir son identité professionnelle d’aujourd’hui m’ont vraiment encouragée à l’inviter sur ce podcast et à avoir cette très, très intéressante conversation que je vous invite à écouter jusqu’à la fin. Sur ce, je vous souhaite une super belle écoute et une belle découverte de la pensée et de l’art de Francesca Trop.

Bonjour Francesca, bienvenue sur l’ambition au féminin, je suis content de te recevoir aujourd’hui! Comment est-ce que tu vas?

Bonjour Tatiana, je suis tellement contente d’être ici en onde avec toi! Ça va très bien!

Super! Je suis encore une fois super contente de te recevoir parce que ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre des gens avec ton expertise, des gens avec ta pratique. En fait, tu es une peintre, mais tu es aussi une écrivaine, philosophe, une ancienne avocate qui travaillait plus dans tout le milieu du droit. Donc, avant qu’on commence vraiment à parler de toutes ces questions fascinantes de ton parcours professionnel, mais aussi de ton parcours, je dirais presque au niveau de tes identités professionnelles, je voulais poser une question très simple qui était: qu’est-ce que tu voulais être quand tu étais petite?

Ah, pour beaucoup de gens, c’est difficile cette question. Mais pour moi, depuis aussi longtemps que je me souvienne, je voulais être peintre.

Wow! OK, ça te vient d’où cette volonté, ce désir?

Mais je pense que l’artiste, je pense qu’on naît artiste. C’est quelqu’un qui aime se retirer du monde pour poser un regard sur ce qu’il voit et mettre une distance et analyser. Et depuis toute petite, c’est ce que le dessin me permettait de faire. Je regardais, j’observais les enfants jouer et j’essayais de comprendre ce qu’ils faisaient. Et je dessinais, je mettais quelque part une synthèse de ce que je voyais, sans le comprendre. À 4 ans, on ne comprend pas ces choses-là, mais ça s’accentue avec les années. Le dessin a toujours été une façon de comprendre, de me distancier, puis peut-être de me protéger des autres.

C’est intéressant! Te protéger dans quel sens?

Ça crée une coquille. Ça crée, justement, cette distance me permet de me dire je fais quelque chose, j’assume mon identité en dessinant. Et même si les autres sont différents, ce n’est pas grave parce que j’ai ma place comme la personne qui dessine les autres.

C’était une conversation, peut-être, un peu avec toi-même, tu dirais?

Oui, exactement! C’est une façon de me recentrer. C’est une sorte de méditation avec soi-même. Moi je ne médite pas je. Je sais que beaucoup de gens ont recours à cette pratique pour se recentrer. Pour moi, ce n’est pas du tout intéressant. Le dessin me donne ce même rapport avec moi-même plus intime.

Intéressant! Puis comment est-ce que tes parents ont supporté ça ou peut-être, dans ta vie? Parce que je sais qu’il y a beaucoup d’artistes qui avaient peut-être cette inclination quand ils étaient jeunes. Puis après ça, bon, je ne sais pas ça. Ça se dissipe, ça devient autre chose. Puis on rentre un peu dans l’engrenage de la vie et du capitalisme, je dirais. Mais est-ce que tu as eu du support de cette façon-là? Comment est-ce que ça s’est développé après ça pour toi, quand tu as réalisé que tu pouvais soit choisir cette voie ou une autre?

Mon père est Belge, ma mère est Canadienne. C’est des gens qui ont beaucoup voyagé, qui sont cultivés. Donc ils m’ont toujours encouragée, quand j’étais jeune, à faire du dessin. J’étais la seule qui faisait ça dans la famille. On est quatre enfants, et c’était ma particularité. Francesca, c’est celle qui dessine. Mais c’est sûr qu’arrivée au moment de faire des choix professionnels, ma famille était aussi ce genre de famille où tu deviens médecin, tu deviens avocat, ou c’est la déchéance sociale. Et donc, mes frères et sœurs sont devenus médecins, comme mon père. Et moi, je suis devenue avocate. C’était un « no brainer ». J’avais les notes, j’étais capable et comme je suis quelqu’un, dans le fond, d’assez compétitif, je me disais si je suis capable, je dois réussir. Et j’ai continué à dessiner à côté. J’illustrais des albums étudiants au secondaire. Au cégep, j’avais créé le service de l’image à bois de Boulogne. J’illustrais toutes les activités dans le journal étudiant et sur les murs de l’école. À l’université, j’illustrais aussi les bulletins qui annonçaient les activités étudiantes. Et je suivais des cours de peinture très sérieux pendant mes études à l’École du Barreau. Pour moi, c’était clair que je ne voulais pas gagner ma vie comme peintre parce que c’était toujours une activité vis-à-vis moi-même. C’était quelque chose de très introspectif. Quand je faisais mes propres dessins, quand je faisais des illustrations, ce n’était pas très personnel. C’était pour m’amuser, et il fallait que j’exerce un métier sérieux. Et j’ai réussi à trouver une carrière intéressante en droit parce qu’à ma grande surprise, autant je n’ai pas aimé les études, autant, quand j’ai commencé à travailler, j’ai réalisé qu’il y avait une relation d’aide dans le métier d’avocat, qui est une relation qui me plaisait beaucoup. Et, pendant 15 ans, j’ai pratiqué et je me suis spécialisée en droit du spectacle pour travailler avec des artistes. Je sentais une connexion avec eux. Pendant 15 ans, j’ai fait ça et ça marchait. Dans mes temps libres, je peignais. J’ai fait plusieurs des cours de fin de semaine ou le soir, jusqu’à temps que j’aie des enfants, un, puis deux. Et là, ça ne marchait plus. Je n’arrivais plus à tout mener de front. Je pouvais plus être avocate, épouse, mère et peintre, et je ne pouvais pas enlever la partie peintre, c’est mon identité profonde. Je ne pouvais pas arrêter d’être une mère. Je ne voulais pas arrêter d’être l’épouse de mon mari, donc c’est le droit qui a pris le bord.

Intéressant! Puis c’est intéressant ce que tu parles au sujet d’avoir trouvé dans ton métier d’avocat plus « sérieux ». On pourrait y revenir sur ce mot, je trouve ça super intéressant de considérer, mettons, quelque chose où on irait retirer de l’argent en quelque chose de sérieux tandis qu’un hobby est lié au plaisir. Mais ça me fait penser aussi à une autre personne que j’avais invitée sur le podcast qui s’appelle Aïcha Thory et qui est aussi en droit, mais qui est très, très attirée par les arts donc elle s’est spécialisée aussi à aider les artistes et les personnes de l’industrie, genre, du divertissement, du Web et du spectacle.

J’ai assisté à une de ses présentations.

Ah, super! Non, mais c’est intéressant comment, aussi, elle a mis à son service les outils du Web, aussi, pour pour aller chercher cette clientèle-là qui est peut-être un peu desservie, pas desservie, mais mal servie peut-être par les contextes traditionnels du droit.

Absolument!

Donc, pour en revenir un peu à la question sérieux/plaisir, est-ce que ta conception de l’argent avait quelque chose à faire dans l’idée… Là, c’est sûr que tu m’as dit tes parents, ils disaient « Bon, il faut que tu aies une job sérieuse, et puis avocat ou médecin. » Comment est-ce que tu vivais ce besoin de gagner ta vie à ce moment-là, la relation avec l’argent et le choix de ce métier?

C’est évidemment une question qui est au cœur de tous les choix que j’ai faits. Je n’arrivais pas à concevoir, à 17 ans, à 18 ans, que moi, je pourrais développer mon style, ma voix, mon message comme artiste, si je devais craindre de manquer d’argent. Je ne voyais pas comment je pourrais savoir qui j’étais comme peintre, si j’avais une galerie qui regardait par-dessus mon épaule ce que je faisais, si je devais anticiper si les acheteurs avaient aimé ce que je fais ou non, je ne pourrais pas me sentir libre. Il y a des gens qui sont assez forts pour se sentir libres malgré ça, mais moi, je savais que je n’aurais pas cette force et que l’argent allait détruire mon identité d’artiste. Et c’est important de les séparer et donc le choix de gagner ma vie comme avocate, ça me permettait de préserver la pureté, quelque part, de l’authenticité de mon développement artistique. Et le jour où j’ai décidé que ça suffit, il faut que j’assume ce que je suis parce que sinon, je vais passer à côté de ma vie, j’aurai vécu la vie de quelqu’un d’autre… On parle beaucoup du syndrome de l’imposteur. Je n’ai jamais ressenti le syndrome de l’imposteur. Quand j’étais avocate, je faisais mon travail aussi bien que d’autres, mais moi, je me sentais comme une touriste. Je n’étais jamais chez moi quand j’étais parmi les avocats. Je me retrouvais à la maison quand je rencontrais des inconnus qui faisaient de la peinture. Et j’ai appris le langage des avocats. J’ai plein d’amis, la plupart de mes amis sont avocats ou juges maintenant, mais ce n’était pas ma gagne. Et pour revenir à la question de l’argent, j’ai eu le courage ou la maturité, à 39 ans, de dire « Bon, ça suffit, je dois mettre de côté le droit et vraiment embrasser complètement ma carrière artistique », parce que j’étais rendue assez forte pour être humble, pour accepter de peut-être pas être la meilleure peintre au monde, de peut-être pas faire les tableaux les plus fantastiques, mais j’étais prête à confronter mes limites, puis aller au bout pour découvrir jusqu’où j’étais capable d’aller, sans m’inquiéter de faire de l’argent ou non pendant quelques années parce que j’avais assuré une sécurité financière à ce moment-là.

Tu étais prête à vivre dans ton intégrité.

J’étais prête à vivre dans mon intégrité parce que l’argent n’était plus une chaîne. Avoir de l’argent me donnait la liberté d’être authentique.

Je trouve ça super pertinent ce que tu dis aussi, puis je pense que ça va parler à beaucoup de gens qui ne sont pas nécessairement des artistes, mais qui vont peut-être se lancer dans l’entrepreneuriat. Puis ma propre histoire, moi, j’ai commencé mon entreprise alors que j’étais encore en emploi. J’étais une entrepreneure à temps partiel, comme j’aime dire. Puis pour moi, je ne sais pas si c’est quelque chose qui est plus lié à notre condition de femme, de devoir quand même garder cette indépendance financière là, savoir qu’on n’est pas dans le risque absolu non plus de tout. Il y a cette romantisation de l’entrepreneur qui laisse tout derrière puis qu’il lui reste dix dollars dans son compte en banque. Et puis c’est la débandade. Alors qu’il y a beaucoup de réalités de justement, de femmes qui, soit elles ont des enfants à la maison ou elles doivent pourvoir pour leur foyer, elles vont commencer, justement, à bâtir un capital ou à rentrer un peu plus dans leurs projets de vie, je dirais, à travers cette espèce de sécurité qu’ils auraient créée par ailleurs, en ayant fait… Puis là, je ne dirais pas nécessairement que c’était un sacrifice dans ton cas, mais des compromis ou je ne sais pas qu’est-ce qu’on utiliserait comme mot ici.

Oui, d’autres choix.

Oui, c’est ça, d’autres choix. Exactement, des choix qui, dans le fond, ne sont pas définitifs. Je pense que c’est ça aussi cette idée d’utiliser les moyens qu’on a pour créer cette vie qu’on veut créer, mais le faire selon notre propre parcours.

Oui, et quand on a un désir profond et qu’on regarde les yeux vers l’horizon, on regarde au loin, on trouve le moyen pour arriver à bon port. Moi, depuis très jeune, je m’identifiais comme artiste, et je me disais, pour avoir une vie vraiment réussie, je serais quelqu’un qui peint à temps plein. Et je ne croyais pas que j’y arriverais. Mais finalement, tous les gestes que j’ai posés au cours de ma vie m’ont permis d’arriver à un moment où je pouvais faire ce choix et dire OK, c’est maintenant, je loue un studio puis je me lance, puis j’essaie.

Et puis je suis curieuse, parce qu’encore une fois, ça aussi, j’en avais parlé avec une autre invitée, Bénédicte Vassar. Je mettrai le lien parce que c’est intéressant, parce qu’elle se spécialise beaucoup avec les personnes qui, bien, les femmes, qui arrivent à la quarantaine et puis qui ont des moments de transition comme ça. Puis je me demandais, est-ce qu’il y a eu un déclencheur pour toi de dire, là, ça ne marche plus. Je dois faire un choix définitif. Encore une fois, je n’aime pas ce mot, mais tu comprends ce que je veux dire.

Non, mais, il faut que je bascule, c’est maintenant qu’il faut appuyer sur le bouton, puis prendre un nouveau couloir. Oui, en fait c’est une série d’événements. Mes enfants, je trouvais que mes enfants étaient fragiles et que je n’étais pas un bon modèle de mère en ne vivant pas de façon authentique la personne que j’étais. Je me disais, je ne leur donne pas le bon exemple. Il faut que moi, je me reconcentre sur qui je suis et ça va les aider à être mieux eux-mêmes. Il y avait ça. Et en même temps, j’ai des amis qui sont décédés, qui se sont retrouvés à l’hôpital psychiatrique parce qu’ils perdaient la raison. Il y a eu un espèce de tourbillon autour de moi, au niveau personnel, où des gens se retrouvaient avec plus de choix, des gens qui n’avaient pas fait le choix de vivre leur vie, qui perdaient la raison, ou qui se tournaient vers l’alcool ou des gens qui mouraient, et c’était fini. Et je me disais, mais quelle horreur! Si moi, je meurs demain, je n’aurai jamais découvert qui j’étais. Je n’aurai même pas vécu ma vie, quel gâchis! Donc je crois que tout convergeait. En fait, il y avait des signes. Il y en a peut-être toujours, mais simplement, il y a des moments où on en décode, où on a envie de les voir. Mais moi, j’entendais ce message haut et fort. Sauve-toi, sauve ta peau. Parce que quel gâchis, sinon, franchement.

Puis cette conscience, on n’en parle pas beaucoup, mais cette conscience, justement, de la mort qui est omniprésente, je dirais, inévitable, mais qui, justement, n’est peut-être pas conscientisée dans la routine du quotidien, dans toutes ces choses qu’on doit cocher comme cases, je dirais.

Oui, on voit ça souvent dans les listes, les dix choses, les dix regrets que j’aurai si je meurs demain. « Je n’ai pas eu assez d’amis, je ne me suis pas occupée de mes enfants assez, je n’ai pas fait… ». Mais pour les personnes créatives, dans le haut de la liste, il y a toujours: « Je n’aurai pas essayé d’accomplir ce que j’aurais aimé accomplir. » Et beaucoup vont lire cette liste, puis se dire « Whatever, je continue ma vie. » Mais moi, vraiment, ça me pesait tous les matins. J’allais au travail et je me disais la seule personne qui est contente que je sois ici, c’est ma mère. Et franchement, il n’y a personne qui est content. N’importe quel avocat, il y a plein d’avocats qui adoreraient avoir mon travail. Je travaillais, à la fin, j’étais à l’ONF, 9 à 5, 4 jours par semaine. C’était du droit intéressant. C’était un environnement facile, pas stressant. Puis je me disait mais pourquoi je ne suis pas en train de peindre? Qu’est ce que je fais ici? Et tous les jours, je n’étais pas capable de m’enlever cette pensée-là. Un moment donné…

Non, c’est éloquent ce que tu dis. Puis, d’un autre côté, aussi, tu as toute cette identité d’autrice aussi dont on n’a pas encore parlé. Puis qui, dans un certain ordre d’idée, a quand même un pied ancré dans toute ton identité aussi d’avocate, genre, et tout ce qui est relié au droit.

Oui, et je ne l’avais pas vu venir, ça.

Non, c’est ça. Quand est-ce que ce désir de créer de cette façon-là s’est manifesté?

En 2017, j’ai commencé, j’ai eu une illumination. Alors, comme je disais, moi, en peinture, je voulais comprendre ce que j’allais peindre et je m’étais imaginé que je ferais des peintures très masculines, noires, très cool, le genre de choses qu’on voit dans les galeries d’art à New York, qu’on s’imagine. Et puis ce n’est pas du tout ça qui sortait. C’est vraiment, moi j’étais dans la couleur, le mouvement, les histoires. Et puis, je me suis dit tiens, moi, ce qui m’intéresse, c’est peindre les relations entre les personnes. Donc, je peignais des scènes d’éloignement, de rapprochement. Puis je me suis mis à peindre des sportifs, des hockeys, du soccer, du tennis. J’essayais de comprendre comment les gens s’affrontent dans la vie, comment ils se rencontrent puis ils veulent se dominer les uns les autres à travers le sport. Puis, pendant que moi je m’amusais à faire ça, j’ai des amis qui étaient un peu plus sérieux dans leur carrière d’avocat qui commençaient à être nommés juges. Et certains m’ont invitée à assister à leur cérémonie où ils deviennent juges, qui a lieu au palais de justice. Et c’est très, très sérieux et très solennel. Et quand je suis retournée au palais de justice après ne pas y avoir été pendant des années, j’ai été frappée par la ressemblance, en fait, entre les sportifs et les avocats. Je me disais, bien c’est la même chose. Ils mettent ces personnes et jouent pour une équipe, l’équipe de leur client. Ils revêtent le costume. Il y a le livre avec les règles, l’arbitre c’est le juge. Ils jouent un jeu où ils se battent devant les tribunaux. Et donc, c’est ça que je devrais peindre, parce que ça, je l’ai vécu. Et je me suis mise à vraiment un travail que j’ai beaucoup aimé, où j’essayais de comprendre comment on fait pour peindre des rectangles noirs, que sont les avocats, avec le petit rabat blanc. Comment on fait pour les mettre sur une toile et rendre ça intéressant? Commenter on peint les rapports entre eux?L’éloignement, ils ne bougent pas beaucoup, les avocats. Comment on rend le tableau intéressant? Et, en peignant ça, j’ai été curieuse de comprendre d’où viennent ces symboles juridiques. D’où vient la toge, d’où vient le rabat, pourquoi ils ont tous l’air de curés quand on les peint. Et puis j’ai trouvé plein d’informations que j’aurais aimé savoir, et quand j’en parlais à d’anciens collègues, ils trouvaient ça tellement intéressant. Puis ils ont dit « Ah, fais donc un livre, fais donc un livre. » puis je disais « Bien voyons, je peux pas faire un livre là, moi je suis une peintre, je ne suis pas un auteur. » Et puis finalement, je me suis dit OK, je vais faire un livre et ça va accompagner mes tableaux. Et donc, en quatre mois, j’ai contacté, j’ai découvert comment on fait un livre. J’ai été visiter un imprimeur. J’ai écrit le livre. J’ai engagé une graphiste. J’ai peint plein de tableaux et quatre mois plus tard, j’avais une exposition et le livre, un « coffee table book », avec couverture rigide, 450 exemplaires et je pense qu’il en reste cinq.

Wow!

Et ce livre a été un ambassadeur. Il a permis à plein de gens de découvrir la petite histoire du droit, la proximité de la religion et du droit que je n’avais pas comprise. Et le retour historique a fait que j’ai eu une autre vision du métier que j’exerçais. J’ai pu partager cette vision. J’ai été invitée à donner une conférence dans le cadre d’un congrès sur le langage clair, parce que je m’étais associée à Éducaloi, un organisme que j’adore. Je leur avais dit: « Je vais vous donner une partie des profits faits par le livre, puis donnez-moi un peu de visibilité. » Alors ils m’ont dit: « Écoute, il y a une conférence, c’est nous qui l’organisons. Il y a 19 pays qui sont représentés. Il y aura 500 personnes, vient présenter ton travail. » Et en donnant cette petite présentation en 20 minutes, je résumais ce que je faisais avec des images, il y a quelqu’un qui m’a approchée en me disant: « Connaissez-vous le travail de professeur Philip Woods, Droit international?  » Je dis: « Non, qu’est-ce qu’il a fait » ? Il a fait un livre qui explique comment les avocats ont remplacé les prêtres pour définir les mythes contemporains et expliquer les règles de la justice, les règles du vivre ensemble, que pendant longtemps les religions faisaient ça, qu’ils utilisaient des histoires, des mythes, mais que, il y a plus de 1500 ans que les grandes religions ont cessé de produire des nouveaux mythes. La Bible, le Coran, la Torah, ça n’a pas été réécrit depuis longtemps, et c’est le système de justice qui a pris le relais pour définir ce qui est juste, définir les règles de vivre ensemble. Et les nouveaux mythes, en fait, c’est les grands jugements. Ces jugements qu’on connaît sans vraiment comprendre, connaître les détails, mais on connaît tous le procès de Socrate, le procès de Jésus, le procès de Jeanne d’Arc, les sorcières de Salem, Galilée, le procès de Nuremberg et je me suis dit c’est génial, quel bon sujet! Moi, c’est ça que je vais peindre, les grands procès. Et en faisant les grands procès, à nouveau, j’ai eu envie de faire de la recherche, parce que ça fait partie de ma façon de fonctionner. Les tableaux me donnent envie de réfléchir. Donc, je faisais des tableaux, je faisais de la recherche, ça faisait que je modifiais le tableau. Et puis, tant qu’à faire de la recherche, je me suis dit faisons un autre livre, puisque je sais comment faire ça maintenant. Mais j’ai été approcher un éditeur pour avoir une meilleure distribution. Donc, j’ai frappé à la porte du seul éditeur que j’imaginais s’intéressait à ce livre, c’est les Éditions du passage. Ça a été fondé par une femme il y a quelques années, puis ça fait, je ne sais plus, 15-20 ans que ça existe, c’est trois filles qui travaillent là. Je leur ai juste proposé mon projet. Je n’avais rien d’écrit. J’avais quelques tableaux. Ils m’ont dit: « C’est fantastique, on embarque! Let’s go! » Et puis voilà, donc, en mars de cette année, le livre est sorti, Ces grands procès qui ont changé le monde, où il y a une réflexion, il y a les tableaux, il y a les croquis, mais il y a une réflexion autour de la proximité, toujours, entre la religion, la justice, et comment le droit définit les règles de moralité et de vivre ensemble.

C’est fascinant! C’est vraiment intéressant aussi que tu aies cette approche multidisciplinaire aussi à la réflexion. Parce que veut, veut pas, finalement, ton art, ton écriture, même ta pratique professionnelle, ça a tout été ces réflexions autour de concepts philosophiques, de concepts moraux, de concepts aussi spirituels. Non, c’est absolument passionnant! Puis, juste une petite question qui me qui me vient en tête: est-ce que pour toi, le désir de créer un projet comme ça, il se ressent différemment, que ce soit peinture, livres ou même projet entrepreneurial? Parce que c’est comme ça qu’on s’est rencontrées aussi. Est-ce que tu ressens la créativité de la même façon?

Oui, bonne question, wow, oui! C’est ce même, c’est un peu un tsunami à chaque fois où je ne demande rien et puis là, tout d’un coup, il y a 18 idées qui se concrétisent et qui ont besoin d’exister ensemble, en même temps. Ça va être à travers le livre, le tableau, des conférences, ce podcast. Tout d’un coup, c’est même pas moi qui ai envie de créer. Il y a quelque chose qui a besoin d’exister et moi, je suis le vecteur. Je dois suivre ça. C’est une théorie que j’ai apprise, que les Grecs favorisaient beaucoup, que l’inspiration, ça n’appartient pas à l’artiste. C’est quelque chose qui existe. Et l’artiste n’est que le messager. Et quand j’ai appris cette théorie, je me suis dit mais oui. C’est comme ça que je le sens et ça enlève une grosse pression. Je ne dis pas « Mon Dieu, où est mon inspiration? Qu’est-ce que je dois apporter au monde »? C’est clair, le monde te le dit: « C’est ça! Je veux exister. » Il y a un message qui doit être passé. Puis c’est la même énergie qui va guider le tableau, l’écriture ou la création de podcasts ou de webinaires ou de je ne sais pas trop. Je ne sais pas où ça m’amène puisque je suis mon nez. C’est un pas après l’autre. Chaque pas m’amène à faire un autre pas. Je suis dans la découverte constamment. Donc c’est la même approche, qui est l’inverse de l’approche scientifique où tu dis « Bon, moi je veux arriver dans cinq ans. Je veux arriver là, puis je vais tout mettre en branle pour y arriver. » Je me dis juste, l’approche artistique, c’est je pose un pas et je saurai où poser l’autre après.

Il y a comme une confiance intrinsèque que tu vas savoir où aller si tu écoutes ce qui est à l’extérieur.

Exactement! Et c’est comme ça que se peint un tableau. Tu poses le premier geste. Ou quand on écrit un livre, on écrit le premier mot et le premier mot va te dire quel mot écrire après. Et tu as beau avoir un livre dans ta tête, tant que tu ne l’as pas écrit, le livre n’existe pas du tout. Et le tableau, c’est la même chose. Tu poses une marque et le tableau te répond: « Boici l’autre marque que tu dois mettre, tu es d’accord ou tu n’es pas d’accord »? Il y a un dialogue avec ton tableau et il y a un dialogue avec le livre et avec la vie en général. Ça donne une vie très pleine de création et il y a tellement de choses à créer. C’est extraordinaire.

Mais comment tu sais quand c’est fini ou quand ça représente comme le… J’imagine aussi qu’il y a tout le temps un petit jugement sur le geste ou, du moins, sur la création ultime. Parce que ce qui est intéressant dans l’art puis dans n’importe quelle pratique, c’est que c’est à la fois, justement, un art et une pratique. Donc il y a un certain degré de, je ne sais pas moi, affinement de la technique ou d’être aussi juste que ce que tu voudrais communiquer? C’est tu à ce niveau-là que tu sais si, oui ou non, ça représente la finitude de ce que tu veux mettre de l’avant?

Je vais te donner une réponse. Il y a toujours trois étapes dans la création, peu importe le projet. Il y a l’énergie de la découverte, au début. Tu fais: « Oh my God, j’ai une idée! » Et là, ça sort de partout. Tu écris, tu griffonnes, tu barbouilles, tu as tout, tout plein d’idées et c’est le fouillis. Puis après, il y a l’étape 2 où tu construis, où tu fais des choix, tu élimines. Tu dis: « OK, ça non, ça je le réécris, ça je repeins par-dessus. » Et tranquillement, chaque choix, si t’écoutes ce que te renvoie ton œuvre, ton texte ou ton tableau, tu vas avancer vers une solution. Et chaque geste élimine des possibilités. L’oeuvre se construit presque par elle-même. Et puis, il y a l’étape 3 qui est la conclusion. Où là, tu cherches à ce que ça ait la meilleure forme possible que t’es capable de lui donner à ce moment-ci dans ta vie. Ça fait aussi partie de cette humilité de se dire j’ai fini mon cycle, je ne peux pas l’amener ailleurs. C’est là que ça s’arrête. C’est le meilleur texte que je peux écrire. C’est le meilleur tableau que je peux faire. Je passe à autre chose. Et le sentiment de finitude, c’est d’accepter que tu as bouclé. T’es arrivé à une conclusion et tu ne pourras pas l’améliorer à ce moment-ci dans ta vie, avec les connaissances et les compétences que tu as. Et un projet prend fin. Alors je travaille par projet. J’aime travailler sur 10 tableaux à la fois, comme ça quand il y en a un qui n’est pas fini et que je suis dans une étape 1 ou 2, si je suis dans une étape 3 pour un autre, ça alimente la réflexion pour le deuxième. Enfin, chaque tableau nourrit les autres. Et une série prend fin quand elle ne t’intéresse plus. Quand l’envie de produire, ça devient lourd, ça devient OK, non, ça, c’est fini. J’ai envie de passer à autre chose. Et je travaille, j’ai découvert, quand j’ai commencé à faire ces séries, qu’il fallait que je travaille dans l’urgence absolue parce que je ne savais pas quand l’énergie allait retomber. Et il fallait que je me dépêche de tout faire avant que ça retombe.

Puis quand l’énergie retombe, est-ce que tu te sens mal? As-tu comme un…

Non non, ce n’est pas une dépression, ce n’est pas: « Ma vie est finie, je n’ai plus rien à dire, que fais-je sur la Terre »? Non non, c’est juste, c’est comme si mon cerveau était rendu sur la plage. Puis, tu sais, je n’ai plus rien à dire à ce moment-là. Je n’ai comme plus de conversation, je deviens partiellement inintéressante. Et puis j’espère que quelque chose d’autre va se présenter, puis jusqu’ici, ça arrive.

Oui, puis c’est intéressant parce que j’en parle souvent avec mes clients, mais aussi j’y réfléchis beaucoup moi-même, parce que je réfléchis beaucoup au cycle de créativité et au cycle « slash » de productivité. Puis moi, je suis vraiment quelqu’un, j’ai remarqué aussi dans ma vie aussi que j’avais des cycles où c’est comme, justement, tu sais, j’ai un projet puis là soudainement, à certains moments, il y a comme de nouvelles bribes de choses qui arrivent puis c’est comme ce désir irrésistible d’aller explorer ailleurs. Puis, je parle souvent de quand j’ai découvert les deux termes Chronos et Kairos pour parler du temps, et à quel point on est tellement focussés sur Chrono, justement, le plan sur cinq ans. Il faut que j’aie fini ça à la fin de l’année, objectifs annuels, blablabla. Mais que, des fois, souvent même, on oblitère tout le côté plus Kairos, qui est le temps opportun pour faire les choses dans la créativité. Il y a ce degré aussi d’être sensible à voir les signaux, de dire maintenant est le moment pour faire ceci ou pour, justement, mettre en branle ou ajuster, puis finir, tu sais. Et puis, je pense que, en tout cas…

Oui, moi je me dis on n’est pas les patrons. Et c’est ce que j’essaie d’expliquer à mes enfants. Ils sont vieux, mais encore, regarde, il pleut dehors. Tu ne peux pas sortir sans parapluie, puis pas être mouillé, parce que ce n’est pas toi qui décides. Ce n’est pas toi qui décides qu’il fait chaud aujourd’hui. Ce n’est pas toi qui décides quand les choses arrivent. Le monde arrive, puis tu t’adaptes. Et c’est cette même leçon dans la créativité. C’est pas toi qui décides quand l’idée va arriver, mais quand elle arrive, il faut que tu la saisisses et que tu agisses en conséquence parce que sinon, elle va partir, cette idée-là.

Oui, elle va partir, mais il va y en avoir d’autres.

Il va y en avoir d’autres, oui, mais c’est peut-être quelque chose de chouette qui va partir. Tu as peut-être parlé déjà de cet exemple. Les musiciens ressentent beaucoup ça et je pense que c’était Michael Jackson qui disait: « Il faut, quand une musique me visite, il faut que je la prenne. Sinon, c’est Prince qui va écrire la chanson. » Et Bob Dylan avait dit un peu la même chose avec, je vais me tromper de nom, mais disons: « Si je n’écris pas cette chanson-là, c’est Leonard Cohen qui va la prendre. » Avec cette idée, la chanson a sa propre existence. Et quand elle nous visite, si on ne la saisit pas, elle va passer son chemin. Kairos s’est représenté comme un petit dieu avec des ailes aux pieds et une touffe de cheveux derrière. Et il faut que tu le saisisses par la couette quand il passe. Tu l’attrapes par les cheveux, sinon il va partir. Et oui, il y aura d’autres idées, mais c’est peut-être une vraiment bonne idée que tu auras perdue.

Je trouve ça super intéressant de le voir comme ça. Quand on se voit comme un vecteur, comme tu disais, aussi, pour laisser aller le syndrome de l’imposteur. De dire, bien tu sais, si l’idée m’a visitée, je vais la mener là où je peux la mener. Puis, tu sais, vivons cette aventure à fond, puis allons voir où je peux, justement, comme générer quoi que ce soit pour l’humanité ou ma communauté, ou même pour moi-même, tu sais.

Exactement! Ça apaise l’ego. Tu dis souvent l’ego trip: « Pour qui je me prends d’avoir cette idée-là »? Non, c’est une idée qui est dans l’air. Le psyc guide, puis c’est ma responsabilité de la saisir.

Tout à fait, tout à fait! Comment tu, peut-être on va terminer avec cette question-là, est-ce que tu vis du doute parfois? C’est quoi les moments qui sont les plus challenging ou difficiles pour toi dans ces étapes de création quand même?

Ah, exposer, faire une exposition, c’est toujours douloureux. On s’expose au regard des autres et même exposer, partager sur Instagram ou sur le site Web. À partir du moment où je sais que j’ai des clients qui aiment ce que je fais, j’ai peur de les décevoir. Et donc cette idée de ne pas être contrainte par des impératifs économiques, financiers, s’est un peu transposée. J’ai peur de décevoir les autres. Et le message le plus brutal que j’ai reçu ces dernières années, c’est il y a quelques mois, un couple de clients qui m’avaient déjà acheté deux tableaux. Ils m’avaient trouvée dans une exposition qui avait lieu près de chez eux, des gens que je ne connaissais pas. Ils avaient acheté deux de mes tableaux et là, ils m’ont écrit: « On fête notre 50e anniversaire de mariage et comme cadeau, on veut s’offrir un de vos tableaux parce que vous êtes notre peintre préférée. » Et ça m’a fait tellement mal. Je me suis dit, je ne serai plus jamais capable de montrer des tableaux parce qu’ils vont être déçus. Ils vont réaliser qu’ils se sont trompés qu’il y a d’autres peintres qui sont vraiment meilleurs. Les moments de doute, bizarrement, c’est quand je reçois des compliments que je les vis. Les critiques négatives, ça ne m’intéresse pas de les entendre. Je me dis bon, ce n’est pas mes clients, c’est tout. Ce n’est pas ma gagne, ce n’est pas grave. Mais les critiques positives me désarçonnent beaucoup, me fragilisent énormément. Oui, ce n’est pas très pratique.

Tu as peur de décevoir.

Oui, la peur qu’ils se sont trompés, que je n’étais pas à la hauteur. Mais il faut que j’apprenne à vivre avec ça. Il faut que je l’ignore, en fait.

Oui, que tu l’ignores comme les négatifs.

Oui, c’est ça.

Justement que peut-être qu’il y a un certain aussi, degré, de laisser aux autres leur totale autonomie dans leur jugement

Oui, exactement, laisser le monde… Oui, de nouveau, c’est du laisser-aller. Dans tout ça, il y a tellement de questions de contrôle. Qu’est-ce qu’on accepte de laisser aller, qu’est-ce qu’on veut contrôler? Et le laisser aller est tellement au centre du succès d’une démarche authentique.

Tout à fait, tout à fait! Puis je pense que c’est là aussi qu’on rentre vraiment dans le degré plus spirituel de ce qu’on veut créer. Peu importe, encore une fois, que ce soit une entreprise ou même une famille où tu sais, peu importe les projets dans lesquels on s’embarque, d’avoir cette confiance dans notre capacité à faire le mieux qu’on peut au moment où on le fait.

Oui, et se pardonner. Se pardonner de pas être aussi parfait qu’on imagine que quelqu’un d’autre le serait. On n’a pas besoin de tous avoir la médaille d’or, surtout dans l’entrepreneuriat, la créativité, l’art. Il n’y a pas de médaille d’or, il n’y a pas de compétition. Il y a des concours, mais ils sont absurdes, parce que ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Il ne s’agit pas d’être meilleur que les autres, il s’agit de faire le meilleur que nous on est capables de faire.

Oui, puis le meilleur que nous on est capables de faire s’inscrit dans le grand organisme.

Oui, c’est une continuité, le meilleur qu’on est capable de faire à ce moment-là dans notre vie.

Exact! Pour les gens qui sont là autour de nous, pour les gens qui vont connecter avec nos oeuvres ou avec nos services ou peu importe. Il y a cette, pas co-dépendance, mais ce dialogue, comme tu as si bien dit à travers l’entrevue, qu’on doit aussi accepter d’avoir, soit avec nous-mêmes, mais aussi avec les autres qui sont en contact avec ce qu’on va créer.

Francesca, c’était absolument magnifique comme conversation, je ne m’attendais à rien de moins que cela.

Ah, les attentes!

Pour finir la boucle comme ça! Mais non, sérieusement, je vais mettre le lien vers ton nouveau livre, Ces procès qui ont changé l’histoire et vers ton site Web, où on peut aller regarder les œuvres que tu crées en ce moment. Je ne sais pas. Juste question de pure curiosité, combien de temps à peu près, justement, si on parle de temps, ça te prend de créer une oeuvre de, peut-être, de A à Z.

C’est tellement impossible de répondre à cette question. Parce que chaque tableau, ça va être complètement différent. Et comme je travaille sur plusieurs tableaux en même temps, ce n’est pas en heures que ça se compte. Souvent, je ressors des tableaux que j’ai peints il y a dix ans et je repeins par-dessus en gardant des choses qu’il y a en dessous. Donc, est-ce que je dois dire ça m’a pris dix ans à faire ce tableau-là? Tu vois, c’est une question qu’on se fait beaucoup poser, les peintres. Surtout parce que les gens se demandent comment on justifie le prix, combien ça coûte à l’heure. Ça ne se calcule pas à l’heure, la créativité, parce que quand tu es dans une série, ça occupe ton esprit 24 heures sur 24. Tu vas marcher dehors puis tu continues à peindre dans ta tête.

Bonne réponse!

Donc quand je fais une commande, j’aime avoir un délai de trois mois pour mes commandes et c’est généralement ce que j’ai. Mais je vais travailler au cours des trois mois sur la série, sur le tableau.

Je comprends, je comprends. Puis, qu’est-ce qui s’en vient pour toi? Est-ce que tu as des projets en branle? Des choses? Tu es en vacances dans ta tête ou…

Non, non, je ne suis pas en vacances. Alors j’ai une exposition en décembre. J’ai loué une galerie avec une autre artiste et je vais exposer les tableaux que j’ai faits au cours des derniers mois qui étaient plus sur le thème de la mythologie intérieure, les histoires qu’on se raconte pour donner un sens à notre vie.

Une galerie ici à Montréal?

Oui, la galerie Erga qui est sur Saint-Laurent. Je suis contente, ça va donner une visibilité à ces tableaux-là. La plupart ne sont pas sur mon site. J’attends, justement, de pouvoir les montrer en vrai. J’ai des présentations que je vais donner avec le Club Rotary, entre autres, en décembre aussi, sur Zoom. Je vais participer peut-être à des salons du livre à Sherbrooke, puis à Hull. J’ai mon livre qui va être présenté au festival La Foire internationale du livre de Francfort, en octobre. Et ça, je suis très contente. J’aimerais beaucoup que mon livre soit traduit en anglais et diffusé par un éditeur anglophone. Ça me donnera une autre visibilité. Et en ce moment, je travaille activement à la mise sur place d’un autre livre, mais sur une réflexion sur la peinture qui s’adresse à des femmes de 40-50 ans qui n’ont pas suivi de cours de peinture et qui s’y mettent parce qu’elles ont découvert qu’elles avaient envie de le faire. Et je leur donne des outils de réflexion pour surmonter les blocages. J’ai commencé à donner des cours de dessin pour pouvoir faire des cours en ligne et monter une formation, aussi, d’exercices sur comment démarrer des tableaux. Donc, c’est un gros projet. En ce moment, il y a cinq tentacules. Je ne sais pas trop, je suis vraiment dans ma phase 1. Et voilà! Après, ce sera ma phase 2 et 3. Mais la troisième, c’est celle où tout bouillonne. Puis non, je n’ai aucune envie de prendre des vacances. Je suis trop occupée avec…

Tu es en plein dans le feu de l’inspiration!

C’est dont excitant!

J’ai hâte de voir ce qui va sortir de tout ça. Donc, Francesca, je vais mettre les liens vers ce qu’on a nommé ici et pour que les gens puissent aller découvrir ton travail, aussi tes projets. Et je te remercie infiniment pour ton temps. Ça a été, encore une fois, une superbe conversation. Et je te souhaite vraiment beaucoup d’inspiration à venir et de créativité.

Merci tellement de m’avoir reçue, Tatiana! Merci pour tes questions très sensibles et bonne chance à toi aussi!

Salut les ambitieuses! J’aimerais faire de ce podcast une plateforme d’échanges et de réflexion autour de ce que ça veut dire être une femme et avoir du succès aujourd’hui. Si tu connais une femme dont le parcours inspirant aurait intérêt à être partagé, ou si toi-même pourrais nous outiller grâce à ton expertise ou ton expérience, rends-toi sur juliej37.sg-host.com/invité pour m’envoyer les détails. Et finalement, profites-en pour t’abonner à ce podcast afin de ne manquer aucun des épisodes. Et si tu es dans un mode généreux, laisse-moi donc un cinq étoiles pour aider d’autres femmes comme toi à découvrir le podcast. À la prochaine!

à propos de l’auteureTatiana St-Louis

Adepte de littérature russe et collectionneuse de lunettes de designer, Tatiana a fondé Aime Ta Marque pour donner des outils aux femmes de carrière et entrepreneures pour mieux raconter leur histoire personnelle. Spécialiste des communications basée à Montréal, elle s'implique au sein de plusieurs communautés visant au développement professionnel des femmes.

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